Les Echos 07/11 Thibaut Madelin
Ramener à 50 % la part du nucléaire en France nécessiterait un investissement supplémentaire de 60 milliards d’euros, selon les calculs de l’Union française de l’électricité, qui fédère les électriciens dont EDF. En conséquence, la facture des particuliers augmenterait de 50 % en vingt ans.
Voilà un devis qui devrait intéresser François Hollande. Faire baisser la part du nucléaire de 75 % à 50 % dans la production électrique d’ici à 2030, dans la lignée des propositions du candidat socialiste à l’élection présidentielle, entraînerait un surcoût de 60 milliards d’euros, selon une étude que doit présenter aujourd’hui l’Union française de l’électricité (UFE).
Selon le syndicat professionnel, qui regroupe les électriciens dont EDF et GDF Suez, la France devra de toute façon investir lourdement dans ses moyens de production et ses réseaux, qu’elle décide ou non de rogner sur le nucléaire. Ainsi, dans l’hypothèse d’une production électrique encore assurée à 70 % par l’atome en 2030, le pays devrait investir 322 milliards d’euros dans son système électrique sur vingt ans. « Avec la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires, la mise à niveau des réseaux ou le renforcement des énergies renouvelables, le scénario dit de continuité suppose des investissements massifs », souligne Robert Durdilly, président de l’UFE. Dans l’hypothèse d’une réduction à 50 % de la part du nucléaire, l’effort serait porté à 382 milliards d’euros, soit un surcoût de 60 milliards par rapport au scénario de base. Les électriciens ont également chiffré un scénario de quasi-sortie, avec seulement 20 % de nucléaire : le surcoût doublerait presque, à 112 milliards.
Quel serait l’impact pour les consommateurs ? Selon les projections de l’UFE, le particulier verrait sa facture augmenter de 50 % en vingt ans si la France réduisait à 50 % sa dépendance à l’atome. Un chiffre à première vue impressionnant, mais qu’il faut comparer à une hausse qui reste élevée (+ 33 %) dans le scénario de continuité. Une famille paierait ainsi son électricité 189 euros le mégawattheure (MWh), toutes taxes comprises, contre 126 euros en 2010. Même dans l’hypothèse de quasi-sortie, le prix resterait inférieur à ce que paye un ménage allemand pour son électricité aujourd’hui, soit plus de 220 euros.
Plus dur pour les entreprises
Pour les entreprises, la pente s’annonce plus rude avec des augmentations de 41 % si la politique énergétique n’est pas modifiée, et de 65 % si la part du nucléaire est réduite à 50 %. A ce rythme, la facture des industriels français passerait de 78 euros à 129 euros le mégawattheure. Ils conserveraient néanmoins une partie de leur avantage compétitif par rapport à leurs concurrents allemands ou belges. Mais l’UFE prévient que plus la part du nucléaire est abaissée, plus il faut avoir recours aux énergies fossiles, comme le gaz ou le charbon, dont les prix sont plus volatils.
« On ne peut pas sortir du nucléaire uniquement avec les énergies renouvelables ou la maîtrise de la demande d’énergie, insiste Jean-François Raux, expert de l’UFE. Il faut aussi compter sur des moyens de production thermiques. » Pourquoi ? L’énergie éolienne ou solaire étant par nature intermittente, il faut des moyens de production flexibles qui viennent s’y substituer en l’absence de vent ou de soleil. Ainsi, dans le scénario intermédiaire, les professionnels calculent que la part de l’énergie produite par les renouvelables doublera à 34 %, mais celle produite à base de fioul, de gaz ou de charbon passera de 7 % à 16 %. Voire à 40 % dans le cas d’une sortie accélérée. « Il faudra alors installer 10.000 mâts d’éoliennes, soit la surface de l’Ile-de-France, mais aussi 60 centrales à gaz », prévient Robert Durdilly, qui s’inquiète de l’acceptation sociale de tels projets.
Le recours aux énergies fossiles aura aussi un impact sur les émissions de gaz à effet de serre, dont la France est largement épargnée aujourd’hui grâce au nucléaire. Dans le cas d’une sortie accélérée, l’UFE table sur des émissions françaises de 439 millions de tonnes de CO2 en 2030, contre 370 millions en 2010. Pour rappel, la tonne de CO2 se négocie actuellement 10 euros, mais le syndicat table sur un prix 5 fois plus élevé en 2030.
Alors que l’Allemagne, l’Italie et la Belgique tournent le dos au nucléaire suite à la catastrophe de Fukushima, les professionnels comprennent les interrogations de l’opinion publique sur le bouquet énergétique français. Mais ils veulent que les décisions soient prises en connaissance de cause. « En tant que professionnels, on doit dire aux politiques : »Si vous décidez cela, voilà la conséquence » », insiste Robert Durdilly. A six mois de l’élection présidentielle, il se garde bien de donner sa préférence pour tel ou tel scénario, mais reconnaît que « plus on donne des coups de barre importants, plus on se fragilise ». Autrement dit, le secteur semble ouvert à une réduction à 50 %, mais une sortie complète de l’atome paraît impensable à EDF et ses concurrents, qui s’inquiètent pour la filière industrielle française.
THIBAUT MADELIN