« Une opération qui méconnaît le principe de précaution ne peut être légalement déclarée d’utilité publique ». Caroline Reinhart Le Moniteur 30/05/2013
Quand le Conseil d’Etat justifie l’injustifiable et le passage en force pour la THT tout en se parant de la vertu, on joue avec le paradoxe et la tentation totalisante est à l’oeuvre… Avec une telle absence de pensée et de responsabilité, on justifie et banalise le mal. Hannah Arendt reviens!
Concilier utilité publique et principe de précaution : le mode d’emploi du Conseil d’Etat
Une opération qui méconnaît le principe de précaution ne peut être légalement déclarée d’utilité publique. C’est l’un des enseignements de l’arrêt de principe que vient de rendre le Conseil d’Etat en se penchant sur l’édification de la ligne très haute tension Cotentin-Maine, qui acheminera l’électricité produite par le futur EPR de Flamanville (Manche).
Avec 414 pylônes, 163 km de long, 64 communes concernées, et plus de 75 procès autour de l’opération, la ligne Cotentin-Maine, désormais en service, reste placée sous très haute tension. Destinée à acheminer sur le réseau national l’électricité du futur réacteur EPR de Flamanville (Manche), l’opération a fait pour la première fois l’objet d’une décision du Conseil d’Etat. Dans un arrêt de principe rendu le 12 avril 2013, la Haute juridiction réunie en assemblée tente de concilier principe de précaution et utilité publique.
Dans cette affaire dite « Association coordination interrégionale Stop THT et autres », les requérants – particuliers, communes, établissements de coopération intercommunale et associations – étaient réunis dans un même but : l’annulation de l’arrêté du 25 juin 2010 portant déclaration d’utilité publique du projet de la ligne Cotentin-Maine. Parmi les motifs invoqués : la violation du principe de précaution, garanti par la Charte de l’environnement et l’article L. 110-1 du Code de l’environnement.
Les trois étapes du contrôle sur les actes d’utilité publique
Le Conseil d’Etat retient dans un considérant de principe (point 37 de la décision) qu’une opération qui méconnaît les exigences du principe de précaution ne peut être légalement déclarée d’utilité publique. Ce contrôle doit s’effectuer en trois étapes, détaillées par la Haute juridiction.
Dans un premier temps, il appartient à l’autorité de l’Etat « de rechercher s’il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement ou d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé ». Un risque qui justifierait l’application du principe de précaution, « en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l’état des connaissances scientifiques. »
Dans l’affirmative, il incombe à l’autorité de l’Etat de veiller à ce que des procédures d’évaluation du risque identifié soient mises en oeuvre. Elle doit aussi s’assurer que les mesures de précaution prises afin d’éviter la réalisation du dommage ne sont ni insuffisantes ni excessives, compte tenu du caractère plausible et de la gravité du risque ainsi que de l’intérêt de l’opération.
Enfin, la réalité des procédures d’évaluation du risque mises en oeuvre et l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans le choix des mesures de précaution doivent être vérifiées.
Le risque accru de leucémie chez l’enfant, une hypothèse « suffisamment plausible »
En l’espèce, la Haute juridiction reconnaît que si aucun lien de cause à effet entre l’exposition résidentielle à des champs électromagnétiques de très basse fréquence et un risque accru de survenance de leucémie chez l’enfant n’a été démontré, « plusieurs études concordantes ont (…) mis en évidence une corrélation statistique significative entre le facteur de risque invoqué par les requérants et l’occurrence d’une telle pathologie supérieure à la moyenne ».
Une corrélation significative « à partir d’une intensité supérieure à un seuil compris selon les études entre 0,3 et 0,4 microtesla » , qui correspond à un éloignement égal ou inférieur à une centaine de mètres d’une ligne à très haute tension de 400 000 volts ». Le Conseil d’Etat considère ainsi que l’existence d’un tel risque doit être regardée comme une hypothèse suffisamment plausible pour justifier l’application du principe de précaution.
Des mesures de protection suffisantes en l’espèce au regard du principe de précaution
Mais pour la Haute juridiction, le maître d’ouvrage a pris, dans cette affaire, les mesures qui s’imposaient. D’une part, il a informé le public sur les risques potentiels associés à un tel ouvrage, tout en retenant notamment un tracé minimisant le nombre d’habitations situées à proximité. D’autre part, il a pris l’engagement de procéder au rachat des habitations situées à moins de cent mètres de la ligne. La déclaration d’utilité publique a donc légalement été accordée, sans violation du principe de précaution.
Au-delà de cette décision, la prudence reste de mise quant aux effets sur la santé et l’environnement des champs électromagnétiques produits par les lignes à très haute tension. Une instruction récente du ministère de l’Ecologie recommande ainsi « d’éviter dans la mesure du possible, de décider ou d’autoriser l’implantation de nouveaux établissements sensibles dans les zones qui (…) sont exposées à un champ magnétique de plus de 1 μT » (lire notre article).
Cliquez ici pour lire l’arrêt du Conseil d’Etat du 12 avril 2013, n° 342409
Voir le document de Miguel Anger: LA TENTATION TOTALISANTE , la nucléarisation du monde en Nord-Cotentin