Le rapport de la Commission sur l’état des réacteurs européens souligne les défauts du parc français. Un nouveau bras de fer vient de débuter entre les autorités françaises et bruxelloises sur la question du nucléaire. Günther Oettinger, le commissaire en charge de l’énergie, doit dévoiler au public, jeudi 4 octobre, à Bruxelles, le rapport final sur les tests de résistance dont ont fait l’objet les réacteurs européens, dans la foulée de la catastrophe de Fukushima, en mars 2011. LE MONDE | 02.10.12
Ces carences avaient déjà été pointées par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) française dans son rapport publié en juin et imposant des milliers de prescriptions aux exploitants.AFP/PHILIPPE DESMAZES
Le document, dont doit discuter le collège des commissaires mercredi, s’appuie sur les travaux du Groupe des régulateurs européens dans le domaine de la sûreté nucléaire (Ensreg). Mais il suscite de vives discussions au sein de la Commission comme avec certains Etats membres, France en tête : les 19 centrales françaises et leurs 58 réacteurs sont particulièrement ciblés par les critiques.
« En général, la situation est satisfaisante, mais nous ne devons faire preuve d’aucune complaisance », a fait savoir M. Oettinger, lundi 1er octobre. D’après les documents qui circulent à Bruxelles, les investissements nécessaires à la sûreté des centrales européennes atteindraient entre 10 milliards et 25 milliards d’euros. Soit entre 30 millions et 200 millions d’euros par réacteur, selon une première estimation fournie par l’Autorité française de sûreté nucléaire (ASN). Le rapport ne préconisera pas de fermer tel ou tel réacteur, cette décision étant laissée au libre choix des autorités nationales, en fonction des coûts.
Au grand dam de Paris, le parc nucléaire français, qui représente plus du tiers du parc européen, concentre les recommandations en cours de préparation : Fessenheim, que le gouvernement Ayrault prévoit de fermer en 2016, mais aussi Tricastin, Cattenom, et Chooz ont fait l’objet de visites spécifiques des contrôleurs européens.
PROCÉDURES EN CAS D’ACCIDENT GRAVE JUGÉES « INSUFFISANTES »
Verdict : les procédures prévues en cas d’accident grave sont jugées« insuffisantes » dans les deux dernières centrales ( Chooz) . De manière plus générale, il est rappelé que les équipements de secours, comme les groupes électrogènes, ne sont pas assez protégés contre les éléments en cas de catastrophe naturelle en France, à la différence des réacteurs britanniques ou allemands. Enfin, les centrales françaises manquent d’instruments de mesure sismique. Ces lacunes avaient déjà été relevées par l’ASN, dans des recommandations faites à EDF avant l’été.
Les recommandations doivent être soumises aux chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Sept lors d’un prochain sommet, d’ici à la fin de l’année. Avec l’ambition que les travaux de renforcement de la sûreté des sites européens soient effectués, au plus tard, d’ici à 2015. D’ores et déjà, le ton monte entre Paris et Bruxelles.
Le commissaire en charge de l’énergie et Delphine Batho, la ministre de l’écologie et de l’énergie, ont eu un entretien houleux sur le sujet, lundi 1eroctobre, à Paris. M. Oettinger s’est aussi entretenu avec Henri Proglio, le PDG d’EDF, le principal exploitant de centrales en France. Les autorités françaises ont cherché, ces derniers jours, à atténuer la portée des conclusions préparées par les services de M. Oettinger. « Nos contrôles de sécurité ont été stricts, sérieux et menés en toute transparence. Ils ont permis de révéler ce qui allait bien et là où il fallait apporter des améliorations », se défend M. Oettinger.
Mais à Paris, on se méfie de toute tentative de centralisation par l’Europe de la régulation du secteur nucléaire. Une évolution que pourraient préfigurer, selon certains, les tests de résistance pilotés par M. Oettinger, même si ceux-ci n’auraient pas été possibles sans le concours des autorités nationales de sûreté. « C’est un pétard mouillé », assure un haut fonctionnaire français : « La France a joué un rôle moteur pour mener ces tests de résistance et ne mérite pas d’être montrée du doigt. »
Les autorités françaises redoutent aussi que les conclusions de cet exercice de longue haleine n’avivent le débat sur la sortie du nucléaire : depuis son arrivée au pouvoir, François Hollande s’est engagé à réduire de 75 % à 50 % la part de l’atome dans la consommation française d’électricité, alors que l’Allemagne – pays d’origine de Günther Öttinger – entend fermer toutes ses centrales d’ici à 2020.
Philippe Ricard (Bruxelles, bureau européen)