Insuffisant. Tel est le jugement que porte l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur le plan d’action post-Fukushima proposé par EDF pour renforcer la tenue de ses centrales nucléaires aux événements extrêmes. C’est ce qui ressort des dix-neuf « prescriptions complémentaires » votées le 21 janvier par le collège de l’ASN et présentées mardi 28 janvier par son président, Pierre-Franck Chevet, à l’occasion de ses vœux à la presse. L’électricien va devoir, en particulier, appliquer à ses réacteurs des règles de protection contre les séismes plus contraignantes. Par Pierre Le Hir Le Monde 28.01.2014
Dans les mois qui ont suivi la catastrophe de Fukushima du 11 mars 2011, des « évaluations complémentaires de sûreté », ou stress tests, ont été menées sur la totalité des installations nucléaires françaises, comme il en est aussi allé pour l’ensemble des centrales européennes. En juin 2012, l’ASN a fait près d’un millier de prescriptions aux exploitants – EDF pour les réacteurs, Areva pour les sites de production et de retraitement du combustible, le CEA pour les centres de recherche.
UN NOYAU DUR PRÉSERVANT LES FONCTIONS VITALES D’UN RÉACTEUR
Pour le parc électronucléaire français, il s’agit notamment de mettre en place un « noyau dur » préservant les fonctions vitales pour la sûreté d’un réacteur en cas de situation extrême. Celle-ci pouvant être une catastrophe naturelle (tremblement de terre, inondation, tempête ou cumul de ces événements), ou une perte d’alimentation en eau de refroidissement ou en électricité (que cette perte soit due à un aléa naturel, à un attentat ou au crash d’un avion).
EDF a alors soumis à l’ASN son plan d’action. Et c’est celui-ci qui motive les dix-neuf « décisions fixant des exigences complémentaires » – une par centrale nucléaire – que le gendarme du nucléaire vient de notifier à EDF. Ces décisions, qui « précisent les règles de conception à retenir pour les matériels du noyau dur », doivent « être conformes aux normes les plus exigeantes », souligne l’Autorité de sûreté. Ajoutant : « Elles conduiront EDF à retenir des aléas notablement majorés pour les matériels du noyau dur, en particulier pour le séisme et l’inondation. »
UNE FOIS TOUS LES 20 000 ANS
S’agissant des séismes, explicite Pierre-Franck Chevet, les réacteurs devront résister à des secousses dont la probabilité d’occurrence n’est que d’une fois tous les 20 000 ans, donc plus violents que ceux pris en compte actuellement (une fois tous les 1000 à 10 000 ans).
Pour le risque d’inondation, les nouvelles prescriptions s’appliquent uniquement à la centrale du Blayais, construite au bord de l’estuaire de la Gironde – en 1999, une brusque montée des eaux avait noyé une partie des installations – et à celle de Gravelines, refroidie par les eaux de la mer du Nord. Pour ces deux sites, note l’ASN, « l’effet des vagues n’avait pas été correctement pris en compte dans la proposition d’EDF ». L’électricien va devoir revoir sa copie et « réévaluer le niveau marin », pour « définir le niveau d’inondation retenu pour le noyau dur ».
10 MILLIARDS D’EUROS
Ces prescriptions « ont une valeur juridiquement contraignante », insiste l’Autorité de sûreté qui, tout au long de l’année 2013, a eu « de nombreux échanges techniques » avec l’exploitant. « La discussion avec EDF a été complexe et sévère », confie M. Chevet. « Sur un certain nombre de points, nous avons considéré qu’EDF n’allait pas assez loin », ajoute le directeur général de l’ASN, Jean-Christophe Niel.
Interrogé, EDF indique simplement qu’il « se conformera à ces nouvelles décisions », qui « s’inscrivent dans la continuité des échanges avec l’ASN ». Et rappelle qu’« en 2013, des travaux ont déjà été réalisés pour respecter les prescriptions techniques de l’ASN, avec notamment l’installation de diesels de secours [assurant l’alimentation électrique des réacteurs en cas de défaillance des systèmes normaux] ». L’entreprise publique ajoute qu’il est trop tôt pour estimer le coût de ces nouvelles mesures. Son PDG, Henri Proglio, avait chiffré à 10 milliards d’euros la facture initiale des travaux post-Fukushima sur ses 58 réacteurs, « un ordre de grandeur raisonnable » selon l’autorité de contrôle.
CRÉATION D’UNE « FORCE D’ACTION RAPIDE »
Le programme de renforcement du parc atomique français prévoit aussi la création de sources d’alimentation en eau et en électricité « d’ultime secours » (pour refroidir les réacteurs, leurs bâtiments et les piscines d’entreposage de combustibles usés), de « centres de crise » bunkerisés, ainsi que d’une « force d’action rapide du nucléaire » capable d’intervenir en moins de vingt-quatre heures sur tout site accidenté.
Si cette force rapide doit être opérationnelle « au plus tard fin 2014 », l’ensemble du dispositif ne sera complètement en place qu’en 2018. Un délai de mise en œuvre qui peut paraître bien long. « La mise en place du noyau dur nécessite des travaux importants et complexes, de la conception à la construction et aux essais de validation », justifie l’ASN. A ses yeux, « des délais trop serrés pourraient nuire à la qualité de la réalisation des modifications, essentielle pour la sûreté ».