Zéro atome, zéro pétrole à l’horizon 2030 ! Grâce à l’inventivité et la pugnacité de ses habitants, le pays du Mené, en Bretagne, s’est lancé dans une révolution verte aux résultats probants. Weronika Zarachowicz Télérama n° 3238 Le 3 février 2012
Comment ce projet culotté, à rebours du modèle nucléaire dominant, a-t-il germé là, dans ce pays longtemps défavorisé par ses sols pauvres et son relief accidenté ? Sans doute parce que l’énergie, avant de devenir un projet économique et écologique collectif, fut d’abord celui d’une poignée d’individus à forte tête, quelques agriculteurs-pionniers-explorateurs portés par l’envie de sauver leur pays.
« Soit on se prenait en main, soit notre territoire allait mourir, car on cumulait les handicaps », résume Dominique Rocaboy, le défricheur, l’un des premiers agriculteurs en France à s’être équipés de panneaux photovoltaïques, pdg de l’usine de méthanisation Géotexia. Non seulement Le Mené dépendait d’une monoactivité – le centre d’abattage Kermené, qui emploie près de la moitié des six mille cinq cents habitants –, mais il devait affronter une urgence : la pollution des sols, due aux excédents de lisiers de porcs. « Le déclic a eu lieu en 1995, au Salon des fourrages de Plessala, un vrai laboratoire d’idées qui a accueilli quarante-trois mille personnes. »
Réunis au sein du MIR (Mené initiatives rurales), qui regroupe élus, agriculteurs et associations, nos aventuriers multiplient alors les voyages d’études en Europe. Et notamment à Güssing, bourgade déshéritée de l’Autriche rurale qu’un maire visionnaire décida d’affranchir du pétrole et du déclin, il y a vingt ans, et devenue le premier village vert d’Europe, 100 % autonome grâce aux énergies renouvelables.
Les pionniers du Mené en reviennent convaincus, ils utiliseront ce qu’ils ont sous leurs pieds avant de chercher ailleurs : les déjections de porcs et les boues issues de l’industrie agroalimentaire. Ils choisissent un procédé encore peu utilisé en France : la méthanisation, qui consiste à laisser fermenter les déchets sans oxygène pour en tirer des biogaz (surtout du méthane et du CO2) et produire de l’électricité ! En activité depuis la mi-décembre, Géotexia, qui est détenue à 34 % par une trentaine d’agriculteurs, traite 75 000 tonnes de lisiers et de produits agroalimentaires, et produit entre 12 et 15 gigawattheures par an, l’équivalent de la consommation électrique domestique du Mené pour une même période.
Chemin faisant, l’énergie verte gagne les esprits, sur l’impulsion de quelques élus. Et les initiatives fleurissent, toutes adossées aux ressources du territoire. A Saint-Gouéno, un autre pionnier, l’agriculteur et maire Jacky Aignel, se plonge dans « les anciens manuels de M. Diesel, qui a tout inventé à partir de l’huile de ricin ! ». Il crée l’huilerie Menergol, qui propose une alternative au pétrole par la pressurisation à froid des graines de colza. « C’est interdit en France pour les voitures individuelles, à la différence de l’Allemagne. Mais on peut alimenter plus de trois mille tracteurs, soit trois fois nos équipements sur la communauté de communes. Et avec les déchets des graines, on produit des tourteaux de colza pour nourrir les bêtes. Résultat : on n’importe plus de soja brésilien, on se réapproprie les moyens de production, on diminue la longueur des circuits de distribution et nos émissions de CO2 ! »
Des chaudières collectives, alimentées avec du bois produit localement, chauffent logements et bâtiments publics. Ajoutez des panneaux photovoltaïques, des éoliennes. « Les énergies renouvelables couvrent 25 % des besoins de la communauté de communes ; on vise les 75 % pour 2020 et les 100 % pour 2030 grâce également aux économies d’énergie, sourit Marc Théry derrière sa belle moustache blanche. Avec le seul éolien, nous pourrions produire assez d’électricité pour alimenter les habitants de Saint-Brieuc ! » Si le projet du Mené s’est épanoui, c’est aussi grâce à lui : polytechnicien, ex-pdg de Rowenta et Somfy, et devenu, par le hasard d’une maison achetée dans la région, chargé de mission énergie du Mené !
“Les collectivités ont peu de moyens. Mais la détermination de certains élus et de certains citoyens y supplée. L’avenir est à une énergie décentralisée et démocratisée.”
« L’enjeu énergétique est au cœur des territoires, résume-t-il, mais les collectivités ont peu de moyens et pas de grand pouvoir légal. Mais la détermination de certains élus et, de plus en plus, de certains citoyens y supplée. L’avenir est à une énergie décentralisée et démocratisée. » Cent quarante familles, mini-entrepreneurs énergétiques, viennent d’investir ensemble dans le prochain défi du Mené : un site de six éoliennes. Le pouvoir (et l’électricité) au peuple, en somme.
« Nous refusons de rester atomisés, dans les deux sens du terme », lance le maire, Jacky Aignel, qui énumère les autres projets à venir, la construction de logements énergétiquement autonomes, une ZAC consacrée aux énergies renouvelables. Avec Dominique Rocaboy, il vient de se remettre à l’anglais pour animer un réseau européen de petites communes rurales pour la neutralité énergétique.
Pas question d’« opposer le local au global, mais si on n’est pas costaud dans le local, on ne sera rien dans le global ». La potion verte pourrait bien irriguer le reste de la France.
1 Commentaire
De très bonnes initiatives qui rejoignent un objectif possible au niveau national, celui de produire autant d’électricité avec les renouvelables en 2025 qu’avec le nucléaire.
C’est possible : http://energeia.voila.net/renouv/electri_renouv_france_2025.htm
» En France, 44 % de l’électricité peut être produite par des énergies renouvelables dès 2025, la part du nucléaire étant réduite à 46 % et celle des combustibles fossiles à 10 %. Sans coûter plus cher qu’en conservant la proportion aberrante de 75 % de nucléaire. »
» Le retrait des 24 réacteurs les plus anciens, conçus pour une durée de vie de 30 ans et âgés à ce jour de 28 à 34 ans, réduira la puissance du parc nucléaire de 34 % et la production d’électricité nucléaire de 35 %. »
Une étude qui » ne se limite pas à la répartition annuelle des différentes sources d’énergie dans la production d’électricité, mais tient compte de la variabilité saisonnière en se basant sur les consommations mensuelles moyennes entre 2006 et 2010. «