Nucléaire : allonger la durée de vie des réacteurs va coûter très cher

Prolonger l’exploitation des centrales nucléaires au-delà de 40 ans pourrait coûter quatre fois plus que ce que prévoit aujourd’hui EDF, alerte un rapport d’étude publié mardi 25 février par Greenpeace. Cela passerait aussi par la réalisation d’opérations très complexes, sans garantie de réussite technique, dans un grand flou réglementaire. 25 FÉVRIER 2014 |  PAR JADE LINDGAARD

Allonger la durée de vie des réacteurs nucléaires : c’est la volonté d’EDF, qui déploie un intense lobbying en ce sens depuis au moins la fin des années 2000. C’est aussi la décision implicite que pourrait être en train de prendre l’exécutif, à force de non-décision sur ce sujet hautement sensible. Construit en un temps record entre la fin des années 1970 et 1980, le parc nucléaire français est aujourd’hui confronté à un « effet falaise » : 80 % de ses tranches ont été mises en service entre 1977 et 1987. Elles atteindront donc leur 40e année entre 2017 et 2027, c’est-à-dire demain. Cela concerne près des deux tiers de nos besoins actuels en électricité. Ainsi, quatre réacteurs vont atteindre leurs 40 ans de fonctionnement d’ici 2018, 23 l’atteindront au cours des cinq années suivantes.

Conclusion du rapport : face à l’énormité de ces enjeux, il y a besoin d’une politique énergétique claire.

Pour Greenpeace, qui a commandité l’étude, il faut que la future loi de transition énergétique limite à 40 ans la durée de vie des réacteurs et qu’elle se fixe un objectif de 45 % de renouvelables en 2030 (contre 27 % à l’étude aujourd’hui dans le cadre d’une directive européenne en discussion, voir ici).

Un rendez-vous a été demandé à l’Élysée pour y présenter cette étude. Pour l’instant, pas de réponse.

Prolonger les réacteurs au-delà de 40 ans, plus cher et incertain que prévu ?

PARIS – Si EDF veut prolonger la durée de vie de ses réacteurs nucléaires au-delà de 40 ans, il lui en coûtera quatre fois plus qu’officiellement annoncé, sauf à transiger avec les critères de sûreté en vigueur en France, estime un rapport commandé par Greenpeace.

Invoquant les risques pour l’avenir du parc nucléaire et la sécurité des Français, l’ONG écologiste a donc demandé mardi que la loi sur la transition énergétique qui doit être votée cette année fixe la limite d’âge des 40 ans comme durée de vie maximale des réacteurs français.

De par leur conception, les centrales ont été dimensionnées pour 40 ans d’exploitation et l’autorisation de les prolonger au-delà de cette limite n’est pas acquise, a d’ailleurs insisté la semaine dernière le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Pierre-Franck Chevet, auditionné à l’Assemblée nationale.

Il y a bien des sujets de sûreté majeurs à regarder à cette échéance, notamment des phénomènes de vieillissement sur certains composants des centrales, qu’on doit regarder d’autant plus attentivement qu’ils ne sont pas nécessairement remplaçables, avait souligné M. Chevet.

Les demandes d’EDF seront en outre examinées au cas par cas et à l’aune des critères de sûreté plus stricts applicables à la troisième génération de réacteurs, tels l’EPR en cours de construction à Flamanville (Manche), comme le veut la doctrine française en la matière, a prévenu le président de l’Autorité indépendante.

Dans cette perspective, EDF, l’unique opérateur des 58 réacteurs électro-nucléaires de l’Hexagone (19 centrales au total), prévoit officiellement de consacrer 55 milliards d’euros à des travaux de maintenance d’ici à 2025.

Cela représenterait environ un milliard d’euros par réacteur.

Seul hic, un tel coût suffirait à peine à maintenir la sûreté des installations à leur niveau actuel et resterait bien loin des exigences retenues par l’ASN pour les réacteurs de troisième génération, assure le rapport réalisé à la demande de Greenpeace par le cabinet WISE-Paris, spécialisé dans l’énergie et proche du mouvement antinucléaire.

– 4,35 milliards par réacteur –

D’après les scénarios établis par Yves Marignac, directeur de WISE-Paris, des critères de sûreté similaires à ceux de l’EPR représenteraient un côut moyen de 4,35 milliards d’euros par réacteur, soit quatre fois plus que celui annoncé par EDF.

Yves Marignac reconnaît que son étude est fondée sur une démarche prospective et incertaine qui ne constitue en aucun cas une prédiction. Et il insiste lui-même sur le fait que les chiffres qu’il fournit ne représentent qu’un ordre de grandeur, en raison du manque de données publiques disponibles et de la difficulté d’estimer le coût d’opérations encore inédites.

Le rapport a au moins le mérite d’exister et de poser des questions, en attendant les conclusions de la commission d’enquête de l’Assemblée sur le coût de la filière nucléaire et la durée d’exploitation des réacteurs.

Entendu par cette commission, le directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), appui technique de l’ASN, déplorait lui aussi l’absence de regard économique global des pouvoirs publics sur cette filière.

Cette expertise n’est faite nulle part et c’est probablement dommageable, avait jugé Jacques Repussard, pour qui on n’est pas dans une situation optimale pour notre pays et ça risque de peser à un moment donné sur la sûreté nucléaire.

Sachant que 80% du parc nucléaire français est entré en service entre 1977 et 1987, l’échéance des 40 ans est très proche et nécessite une action urgente et massive (…) faute de quoi, le risque est très grand d’aller vers des prolongations du fonctionnement par défaut, a jugé Yves Marignac en présentant son rapport.

Un avis qui fait écho à l’avertissement lancé par M. Repussard: il faut garder des marges de sécurité si l’on ne veut pas que notre pays se retrouve dans une situation où il faut choisir entre garder la lumière allumée et la sécurité.

Interrogé, EDF n’a pas souhaité faire de commentaires.

ban/pjl/az

EDF

(©AFP / 25 février 2014 16h14)