Un fait notable s’est produit cette semaine en Europe : quatre insecticides agricoles y ont été suspendus pour deux ans, dans le but affiché de protéger les abeilles et les pollinisateurs sauvages. Il n’y a pourtant aucune raison de s’en réjouir. Au contraire. Le moratoire, qui vise certains usages du fipronil et de trois molécules dites néonicotinoïdes (clothianidine, imidaclopride, thiaméthoxame), marque une profonde faillite de gouvernance. Trois raisons à cela. LE MONDE Par Stéphane Foucart
La deuxième raison d’être déprimé par la décision européenne est qu’elle ne servira probablement à rien. Le moratoire (deux ans) est en effet inférieur à la durée de vie de ces molécules dans l’environnement. Dans une synthèse publiée cette année dans la revue Current Opinion in Environmental Sustainability, Jeroen van der Sluijs (université d’Utrecht) et ses coauteurs expliquent que « les néonico- tinoïdes montrent un potentiel d’accumulation dans le sol et peuvent être repris par les cultures ultérieures jusqu’à au moins deux ans après l’application ».
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« De l’imidaclopride a été détecté dans 97 % des 33 échantillons de sols prélevés sur des champs non traités, mais sur lesquels des semences de maïs enrobées avaient été utilisées un à deux ans avant le prélèvement des échantillons, ajoutent les chercheurs, citant une expérience menée en 2005. Plusieurs études ont retrouvé des néonicotinoïdes dans les fleurs sauvages à proximité des champs traités. »
Les pollinisateurs continueront donc, à l’évidence, à être exposés à ces molécules malgré leur suspension… Enfin, comble de l’absurde, un nouveau produit vient d’être autorisé, sur la foi des tests ayant conduit à l’homologation de ceux que l’on suspend aujourd’hui. Les mêmes erreurs sont reproduites en connaissance de cause.
La troisième raison est la plus déprimante de toutes. David Goulson (université du Sussex, Royaume-Uni) la donne dans une review publiée cette année dans Journal of Applied Ecology. Le biologiste britannique s’est amusé à chercher un lien entre les rendements du colza et du blé (au Royaume-Uni), et la quantité totale de néo- nicotinoïdes utilisée. Le résultat est éloquent. Les traitements préventifs déployés depuis une vingtaine d’années ne semblent pas avoir eu d’impact notable sur les rendements. Et en France ? Un comparatif semblable (sur le maïs et le colza), publié en 2012 par l’Agence européenne de l’environnement, donne un résultat analogue. Ce que nous avons détruit, semble-t-il, nous l’avons détruit en pure perte.

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