Manche, La Hague, Flamanville: comment vivre avec le nucléaire ? En silence

Suite de l’enquête de Ouest-France sur le chantier de l’EPR de Flamanville (Manche). Dans la radieuse presqu’île du Contentin, le nucléaire est partout chez lui. Sauf dans les conversations. Reportage François SIMON. Ouest-France 26 juin 2013

Motus et bouche cousue. Sur cet éperon normand dont le mufle baigne dans la mer sur trois côtés, il y a un sujet qui, pour ne pas fâcher ceux qui s’en empareraient, reste inabordable : le nucléaire. Gisèle André évoque « une ligne de partage qui traverse les familles, les conseils municipaux, les clubs de foot, tous les groupes sociaux. Comment vivre avec le nucléaire est une question qui nous vient de l’extérieur. »

Le nucléaire ? « Chacun a des amis qui sont pour et des amis qui s'y opposent. » Photo : Stéphane Geufroi / Ouest-France.

Le nucléaire ? « Chacun a des amis qui sont pour et des amis qui s’y opposent. »© Photo : Stéphane Geufroi / Ouest-France.
François, son mari parle « d’écartèlement ». Solange et Louis, les belle-soeur et beau-frère, acquiescent : « On en parle, sans jeu de mots, à petite dose. On sait ce que pensent les gens. Et chacun a des amis qui sont pour et des amis qui s’y opposent. La Hague, ce n’est pas deux mondes, on ne fait qu’un. Donc, cette question est grandement évacuée pour continuer à vivre ensemble. »Presque tabouDans la jolie petite maison de Vauville, Solange et Louis, Gisèle et François récapitulent les années passées à la ferme au coeur du nucléaire roi, à mi-distance de La Hague et de Flamanville. Ils ont vu l’usine déplanter les vieilles landes, l’emploi secourir le pays promis au déclin, l’argent couler à flot. Ils ont vécu à côté, sans jamais se départir de leurs doutes, en bonne intelligence avec leurs voisins.Oui, cette question du « vivre avec » est presque taboue. Quiconque la pose ou s’en empare s’expose à des refus polis mais fermes. L’auteur de ces lignes en a essuyé une bonne dizaine par des habitants d’une méfiance extrême. On vous fait comprendre que parler « de ça est délicat ». La Hague, de l’usine de retraitement au futur EPR (réacteurs à eau pressurisée, NDLR), est insondable sur ce qui la caractérise aux yeux du monde entier. Dire peut nuire.« On se tait »Voilà qui n’étonne pas Françoise Zonabend. Ethnologue, cette chercheuse a débarqué en Cotentin dans les années 1980. Et elle s’est éprise de ce pays, des gens, de sa particularité industrielle. Elle a travaillé sur cette question de « Vivre auprès et avec le nucléaire. » Elle a essuyé une solide volée de bois vert.

Plus de vingt-cinq ans après, toujours fascinée par ce petit pays si spécial, Françoise Zonabend n’en démord pas : « Les gens ont mis en place des stratégies défensives pour vivre avec le nucléaire. Il y a les bienfaits économiques, indéniables, que l’on met en avant. Mais, pour vivre au quotidien avec cette présence hégémonique, on se débrouille et, pour ce faire, on se tait. Dans le Cotentin, on parle de tout sauf du nucléaire. L’usine, on s’arrange même pour ne pas la voir. Ni même la nommer. On dit l’usine, là-haut, la chose. Vous voulez parler du nucléaire et de La Hague ? Alors, il faut vous en éloigner. Ce système de déni total est difficile à vivre. »

L’enthousiasme est retombé

Et l’EPR dont la gestation s’achève n’échappera pas à la loi du silence tacite. Au café de Flamanville, on se félicite de ce chantier qui a permis au Cotentin industriel d’amortir la crise : « Ça nous arrange plus que ça nous dérange. » Mais, par rapport aux années antérieures, le pays profondément pro nucléaire, s’est policé. L’enthousiasme est retombé.

La catastrophe de Tchernobyl avait fait douter la « presqu’île de haut voltage ». Mais Tchernobyl, c’était le soviétisme moribond, les malfaçons érigées en système. Fukushima a laissé d’autres traces : « Le Japon quand même. » Quand même. On entend des élus comme Michel Laurent, le maire de Beaumont-Hague, se poser sincèrement des questions qu’il aurait sans doute gardées pour lui.

Subtils évitements

Mais le pays se tait encore et toujours. Dans les repas de famille, entre voisins, de subtils évitements permettent d’occulter le sujet qui fâche encore, qui fâche toujours. Un amoureux du Cotentin confesse : « J’ai vu les mêmes écrans de fumée à Naples par rapport au volcan. »

Dans sa maison de La Hague sud, à deux pas de Flamanville, Paul Paris, le souriant et infatigable militant de l’Acro qui mesure la radioactivité de sa Hague adorée, a inventé un sobriquet pour les gens du coin. Un sobriquet de plus, une tendre vacherie : « Nous sommes un pays d’autruchiens. »

François SIMON.

Ouest-France

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