Suite de l’enquête de Ouest-France sur le chantier de l’EPR de Flamanville (Manche). Dans la radieuse presqu’île du Contentin, le nucléaire est partout chez lui. Sauf dans les conversations. Reportage François SIMON. Ouest-France 26 juin 2013
Motus et bouche cousue. Sur cet éperon normand dont le mufle baigne dans la mer sur trois côtés, il y a un sujet qui, pour ne pas fâcher ceux qui s’en empareraient, reste inabordable : le nucléaire. Gisèle André évoque « une ligne de partage qui traverse les familles, les conseils municipaux, les clubs de foot, tous les groupes sociaux. Comment vivre avec le nucléaire est une question qui nous vient de l’extérieur. »

Plus de vingt-cinq ans après, toujours fascinée par ce petit pays si spécial, Françoise Zonabend n’en démord pas : « Les gens ont mis en place des stratégies défensives pour vivre avec le nucléaire. Il y a les bienfaits économiques, indéniables, que l’on met en avant. Mais, pour vivre au quotidien avec cette présence hégémonique, on se débrouille et, pour ce faire, on se tait. Dans le Cotentin, on parle de tout sauf du nucléaire. L’usine, on s’arrange même pour ne pas la voir. Ni même la nommer. On dit l’usine, là-haut, la chose. Vous voulez parler du nucléaire et de La Hague ? Alors, il faut vous en éloigner. Ce système de déni total est difficile à vivre. »
L’enthousiasme est retombé
Et l’EPR dont la gestation s’achève n’échappera pas à la loi du silence tacite. Au café de Flamanville, on se félicite de ce chantier qui a permis au Cotentin industriel d’amortir la crise : « Ça nous arrange plus que ça nous dérange. » Mais, par rapport aux années antérieures, le pays profondément pro nucléaire, s’est policé. L’enthousiasme est retombé.
La catastrophe de Tchernobyl avait fait douter la « presqu’île de haut voltage ». Mais Tchernobyl, c’était le soviétisme moribond, les malfaçons érigées en système. Fukushima a laissé d’autres traces : « Le Japon quand même. » Quand même. On entend des élus comme Michel Laurent, le maire de Beaumont-Hague, se poser sincèrement des questions qu’il aurait sans doute gardées pour lui.
Subtils évitements
Mais le pays se tait encore et toujours. Dans les repas de famille, entre voisins, de subtils évitements permettent d’occulter le sujet qui fâche encore, qui fâche toujours. Un amoureux du Cotentin confesse : « J’ai vu les mêmes écrans de fumée à Naples par rapport au volcan. »
Dans sa maison de La Hague sud, à deux pas de Flamanville, Paul Paris, le souriant et infatigable militant de l’Acro qui mesure la radioactivité de sa Hague adorée, a inventé un sobriquet pour les gens du coin. Un sobriquet de plus, une tendre vacherie : « Nous sommes un pays d’autruchiens. »
François SIMON.
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