Mais que se cache-t-il derrière le débat sur l'énergie ?

Il ne sert à rien de s’étriper sur la pertinence technique de tel ou tel système de production, ou sur sa capacité à prendre la relève ou sur ses vertus et défauts supposés par rapport au système actuel si, en préalable, nous ne sommes pas d’accord sur le fait qu’il est impératif de changer. 15 Avril 2012 Par CLAUDIO RUMOLINO, Mediapart 

La toute première question à se poser, avant d’entrer dans les débats techniques sur une possible transformation de notre système énergétique, est celle de savoir si tel est bien l’ objectif poursuivi.

Parce que si, en sous-main, ceux qui militent pour le maintient du système actuel le font non pas par défaut, comme il le prétendent lorsqu’ils disent « on ne peut pas faire autrement », ou « on a déjà engagé trop de dépenses pour revenir en arrière », mais le font par une intime conviction, consciente ou non, de supériorité du système en place, alors ce n’est pas la peine de discuter de technique.

Le débat n’est pas, ou NE devrait pas être technique, mais sociétal et politique. Les questions à poser sont : l’énergiepourquoi ? L’énergie pour qui ? L’énergie par qui ? Ces questions me semblent préalables à celle de l’énergie comment ?

> Savoir pourquoi nous permet déjà de cerner un modèle de consommation et les volumes à traiter que ce modèle implique. Car il n’y a pas de fatalité à tel ou tel volume ni à sa croissance : il y a derrière chaque choix un modèle de consommation que l’on promeut ou que l’on désire.
La planification de la surcapacité a été une constante dans l’histoire de la programmation nucléaire en France, comme le montrent les chiffres de la série de rapports PEON sur les projections de l’évolution de la consommations qui, en gros, tablaient sur un doublement tous les dix ans. Par exemple, en 1974, on prévoyait pour 2000 une consommation de 750 TWhélec, alors qu’il n’a été consommé « que » 430 TWh.

> Savoir pour qui c’est indispensable pour définir un modèle de société : planifier un accès égalitaire, quel que soit la quantité et le type d’énergie consommée ? Définition d’un minimum vital et d’un tarif progressif adapté ?

> Savoir par qui est fondamental. Qui produit, qui détient ? Qui transforme ? Qui distribue et qui transporte ?
Car celui qui possède l’une ou plusieurs des ces étapes a un vrai pouvoir. Le pouvoir, au sens de la domination, se confond ici avec l’énergie.

Tant que l’on n’a pas répondu à ces premières questions, tant que les motivations réelles ne sont pas clairement dites et assumées, nos discussions sur la possibilité de transformer notre système énergétique seront l’équivalent d’une discussion sur le sexe des anges. Ce débat n’aura aucune prise sur la réalité.

Alors, passer de l’utopie à la réalité, cesserait d’être une polémique de chiffres, techniques et technologies pour devenir le vrai débat qu’il est : un débat de société.

Si le choix de notre société doit être réellement celui de la réappropriation par les citoyens de leur organisation et de leur pouvoir d’agir sur elle, la question de la réappropriation du système énergétique ne se poserait même pas.

Sortir du nucléaire, comme sortir d’une toxico-dépendance des hydrocarbures, est une étape obligée dans l’émancipation énergétique de la société. Car nucléaire ou fossiles, ces énergies se caractérisent par une volonté de domination, cristallisée par la centralisation extrême de la production (que ce soit en économie libérale ou administrée) et une incitation permanente à la surconsommation. Car c’est notre participation à la sur-consommation qui est le véritable vecteur de domination et la manifestation de notre soumission.

Il faut méditer à l’adage qui dit que dans une société de consommation, celui qui consomme est un bon citoyen ; celui qui ne consomme pas est un individu dangereux, tandis que le pauvre est un perdant.
Le choix de ne pas consommer ou de moins consommer est un acte subversif.

Il serait possible, une fois ces préalables posés, de nous assommer avec des chiffres sur la grande illusion que représente le prétendu avantage nucléaire, aussi bien sur chacun des ses trois arguments de prédilection que sont : son coût de production, l’indépendance qu’il procure et son avantage environnemental. Pour répondre sur chacun de ces trois domaines d’autres formes de production existent et nous pourrions nous lancer dans un exercice comparatif long et précis.

Mais cet exercice n’a de sens que si le débat est correctement cadré et si nous sommes d’accord pour dire qu’une production renouvelable, c’est à dire basée sur des énergies de flux et non de stock, constitue bien un but à atteindre. Non seulement pour une question de cohérence économique par la gratuité du combustible, mais aussi de pertinence environnementale par absence de manipulation de matières et de substances dangereuses, et donc de moindre impact sur les milieux naturels. Si l’on arrive à faire admettre ces simples faits on serait déjà bien avancés.

Mais il n’est pas du tout évident que cela soit aussi clair pour tous. Il apparaît malheureusement que d’autres motivations sont à la source de la remise en cause de ces simples analyses.

On n’échappera donc pas à la question de tenter de savoir quelles sont les raisons profondes d’un clivage sociologique aussi net en France sur la pertinence de se lancer dans la fission de l’atome pour faire bouillir de l’eau.

Je laisse de côté, en posant cette question, toutes les catégories socio-professionnelles qui y ont un intérêt matériel direct, comme la CGT de l’énergie, par exemple. Dans les années 70 et 80 les militants syndicaux ne comprenaient pas que l’on préconise la fermeture des usines d’amiante au prétexte qu’il était cancérigène.

Je laisserai de côté également ceux qui se trouvent une filiation idéologique, soit avec l’un des pères fondateurs de l’industrie atomique, F. Jolliot-Curie, militant communiste notoire ; soit avec un de Gaulle chef de guerre et tenant affiché de la stratégie de la dissuasion lui ayant permis de brandir pendant 20 ans le drapeau de l’indépendance et de la puissance militaire. Cela avait de quoi lui assurer un embrigadement assez massif.

Mais le reste de la population ? Que peut-il lui faire accepter de vivre sur un volcan ? Un système médiatique entièrement acquis aux intérêts de la filière nucléaire ? Certains diraient que ce serait faire insulte à l’indépendance de la presse française.

Finalement, j’ai du mal à comprendre comment une nation qui se targue de la maîtrise industrielle de la fission de l’atome ne se sente ou ne se croit pas capable d’organiser un système énergétique basé sur l’exploitation de ressources exclusivement propres et renouvelables.

Cela est non seulement un défi technologique et industriel, mais surtout un impératif éthique incontournable à une époque où Fukushima est venu démontrer ce que depuis des décennies certaines déniaient et d’autres redoutaient.

Jusqu’où ira la soif de domination sociale ? Nos oligarchies sont à ce point prêtes à courir le risque de sacrifier le territoire pour asseoir leur domination ?

http://blogs.mediapart.fr/blog/claudio-rumolino/150412/mais-que-se-cache-t-il-derriere-le-debat-sur-lenergie

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