MOX, plutonium: l'ultimatum nucléaire qui pèse sur la France

Si la France veut ramener la part du nucléaire à 50 % dans son mix électrique (contre 75 % aujourd’hui), comme l’a promis François Hollande pendant sa campagne électorale, elle doit revoir de fond en comble sa politique de retraitement de déchets atomiques, estime le consultant en énergie Mycle Schneider, couronné du prix Nobel alternatif en 1997 pour ses travaux sur le plutonium. Concrètement, l’usine d’Areva de La Hague devrait cesser sa production de MOX, un carburant composé d’uranium et de plutonium, dès 2019, sous peine de se retrouver avec d’énormes stocks sur les bras. Par Jade Lindgaard Médiapart 23 mars 2013

Pourquoi ce couperet ? À cause du plutonium, produit par les réactions nucléaires, et consommé par une partie des centrales françaises, ce qui constitue l’une des caractéristiques de la filière hexagonale. La France a fait le choix de transformer en partie ce plutonium en combustible : le MOX, mélangé à de l’uranium usagé. La plupart des autres États ont aujourd’hui choisi de le stocker, stratégie jugée plus sûre et moins coûteuse.

Dans le parc français actuel, ce sont les réacteurs les plus anciens (Fessenheim, Dampierre, Blayais, Bugey, Chinon, Cruas, Gravelines, Saint-Laurent et Tricastin) qui utilisent le MOX comme carburant. Or ce sont justement ceux qui sont destinés à fermer les premiers, dans l’hypothèse du respect de la règle des 40 ans de vie. Dans une analyse publique (à lire en cliquant ici,  p. 54) mais passée inaperçue jusqu’ici, et exhumée par Mycle Schneider, l’agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) explique que « la séparation du plutonium juste suffisante pour alimenter les 22 réacteurs moxés jusqu’en fin de vie sera atteinte vers 2018-2019 ».

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(1) Le cycle simplifié du combustible retraité : les HAVL représentent 3% du combustible irradié

Autrement dit, si l’État veut tenir son objectif de réduire de 25 % la part du nucléaire, le retraitement du plutonium n’est plus justifié à partir de 2018-2019. L’activité de l’usine de La Hague n’aura plus lieu d’être, dans sa forme actuelle en tout cas. Ce chiffrage semble difficilement contestable puisqu’il provient des exploitants eux-mêmes, de l’aveu de l’agence. « Les 22 réacteurs de 900 mégawatts (MW) sont le seul schéma opérationnel pour utiliser le plutonium. Le système actuel a produit une impasse », conclut Mycle Schneider.

« Il faut immédiatement arrêter l’activité de fabrication de MOX et chercher dès à présent des pistes de stockage du plutonium et de combustibles usagés », ajoute Benjamin Dessus, directeur de la revue Global Chance qui organisait un colloque sur « le plutonium : ressource énergétique ou fardeau mondial », le 19 mars à Paris. De son côté, Areva, considère que « si le gouvernement a fixé un objectif de baisse à 50 % du nucléaire dans le mix électrique, il a aussi confirmé la stratégie française de traitement-recyclage ».

Le 28 septembre dernier, le conseil de politique nucléaire a déclaré dans un communiqué que « la stratégie de retraitement des combustibles usés et le réemploi dans les réacteurs français des matières fissiles extraites sous forme de combustible MOX sont confirmés ». Sans expliquer comment il compte s’y prendre pour éviter l’indigestion de MOX dans les installations hexagonales. Areva a fait savoir qu’il s’apprêtait, au printemps, à convoyer du combustible MOX vers le Japon, pour la première fois depuis la catastrophe de Fukushima.

150 ans en piscine

Si l’avenir du plutonium agite autant les esprits, c’est qu’il s’agit de tout sauf d’une matière anodine. Le MOX est beaucoup plus chaud que l’uranium, entraînant une prise en charge plus complexe et plus coûteuse. « On estime généralement qu’il faut entreposer 50 ans en piscine un combustible irradié à base d’uranium avant stockage définitif mais 150 ans un combustible MOX irradié, les piscines devant être en permanence refroidies par circulation d’eau », explique Jean-Claude Zerbib, ingénieur radioprotection, ancien du CEA.

On ne peut donc pas éternellement l’empiler sur des étagères comme des bocaux à cornichons. Pour les travailleurs du nucléaire, il n’est pas non plus sans danger. Si des particules de plutonium sont inhalées ou ingérées, elles irradient directement les organes où elles se sont déposées, et peuvent provoquer des cancers. Sa « période biologique » est longue : l’élimination de 50 % de la charge de l’organisme nécessiterait 100 ans environ, poursuit Jean-Claude Zerbib. Les installations industrielles traitant du plutonium nécessitent des barrières de protection épaisses (béton, hublots épais…) pour se protéger des émissions de rayonnements « gamma » et « neutrons ».

Or la quantité de combustibles irradiés stockés dans l’usine de La Hague est colossale : près de 10 000 tonnes, soit l’équivalent de plus d’une centaine de cœurs de réacteurs, compare Mycle Schneider, selon qui une telle concentration « est unique au monde ». Ce stockage se tient dans des bassins de piscine non protégés, c’est-à-dire non recouverts, ce qui les rend vulnérables en cas d’accident grave ou d’attaque.

Réunis le 19 mars à Paris par la revue Global Chance, des chercheurs du panel international sur les matériaux fissiles (IPFM), un groupe d’experts basé à l’université américaine de Princeton, ont insisté sur le déclin de la filière MOX au plan international, trop chère et pas assez fiable : arrêtée en Allemagne, discutée aux États-Unis, écroulée en Grande-Bretagne. Aujourd’hui, seuls la France, l’Inde et la Russie « retraitent » leur plutonium.

En 2011, au début de la campagne présidentielle, le MOX avait provoqué une crise politique entre les écologistes et les socialistes, quand le PS avait ôté du texte de l’accord après signature un paragraphe programmant la fin de la filière (voir ici). Il avait finalement été rétabli, accompagné d’un commentaire ambigu de Michel Sapin, alors porte-parole socialiste.

Près d’un an après l’élection de François Hollande, la plus grande ambiguïté règne encore sur la politique qu’entend réellement conduire l’exécutif sur le nucléaire : quel calendrier de fermeture des deux réacteurs de Fessenheim ? Quel scénario de substitution ? Dans quel ordre les autres installations doivent-elles cesser leur activité pour réduire de 25 % la part de l’atome dans la production d’électricité ? À trois mois de la fin du débat sur la transition énergétique, le flou est total.

http://www.mediapart.fr/journal/france/220313/lultimatum-nucleaire-qui-pese-sur-la-france

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