La note publiée par l’Efsa (l’agence de sécurité alimentaire européenne) estime l’étude publiée par Gilles Eric Séralini comme « de qualité scientifique insuffisante pour être considérée comme valable pour l’évaluation des risques ». Mieux : l’Efsa « ne voit pas la nécessité de réexaminer sa précédente évaluation de l’innocuité du maïs NK603, ni tenir compte de ses conclusions dans l’évaluation du glyphosate ». Guillaume Malaurie, Nouvel Obs jeudi, 04 octobre 2012.
Clair, net et sans curiosité excessive. Les rats de Séralini sont donc morts en excellente santé. Dans le genre bulle papale et excommunication, il est difficile de faire plus cassant. Les arguments sont pourtant les mêmes que ceux évoqués ces deux dernières semaines par les détracteurs de l’équipe de Caen.
Les rats choisis, disent-ils, sont connus pour être sensibles au développement de tumeurs. Un constat que Gilles-Eric Séralini n’a jamais nié. S’il a pris ces rats, c’est d’abord, dit-il, parce qu’ils sont standards dans ce type de recherche et que c’est précisément cette même race qu’utilise Monsanto pour son étude à 90 jours sur un maïs OGM.
Un écart qui laisse l’Efsa mutique
Mais ce qui fait tout l’intérêt de son étude, c’est le fait que les rats nourris aux maïs OGM déclenchent les tumeurs et les affections du rein et du foie très tôt (une explosion vers les 12e et 13e mois) alors que les rats non traités ne déclencheront en moyenne des tumeurs qu’en fin de vie. Soit dix mois plus tard. Or ce sont des rats issus de la même espèce. Sauf que les uns ont été nourris au maïs OGM le plus souvent traité au Roundup et les autres non.
Une différence de dix mois chez le rat, vulnérable ou non aux tumeurs, c’est un écart de 40 à 45 ans chez l’Homme. C’est cet écart qui est bien évidemment significatif et qui fait débat. C’est cet écart qui est glaçant. Et qui semble laisser étrangement mutique l’Efsa.
Un nombre de rats équivalent à celui utilisé par Monsanto
L’autre argument, c’est le nombre insuffisant de rats. Selon « le protocole OCDE », il en faudrait 50 par groupe et non 20. C’est exact. Sauf que « le portoco l’OCDE » n’en recommande 50 par groupe que lorsqu’il s’agit d’une étude de « cancérogénèse ». Or l’étude de Séralini ne portait pas sur la cancérogenèse mais sur la toxicologie. Nuance de taille, mais zappée par l’Efsa ….
Une précision qui est pourtant tout à fait limpide dans l’intitulé même de la recherche de Séralini. Celui-ci n’imaginait d’ailleurs pas cette explosion de tumeurs. Et pensait plutôt que se produiraient des affections aux niveau des reins et du foie.
Le nombre de rats, qu’il souhaitait plus important, est enfin équivalent à celui utilisé par Monsanto dans ses propres études sur les animaux. Des études qui, à l’époque, ne faisaient pas sourciller l’Efsa.
Au moins pouvait-on espérer que l’agence, après avoir « excommunié » Séralini sans l’entendre, exprime le souhait de diligenter des études de type « vie entière » avec autant de rats qu’elle le souhaite. Qui le lui interdit ? Pourquoi n’est-ce pas même envisagé ? Pourquoi d’ailleurs ce ne fut jamais envisagé ? Mystère. Mais c’est comme ça et pas autrement.
Oui, pourquoi pas un traître mot sur cette éventualité ? Aucun doute ne semble effleurer cette agence, qui s’est pourtant fait étriller récemment pour des conflits d’intérêt sur les OGM mis au jour en son sein. Et jusqu’au niveau de sa présidente qui fut contrainte de démissionner.
Exit les doutes
Force est de contaster que l’Efsa fait preuve d’un esprit de fermeture inquiétant. Comme si une certitude scientifique se devait d’être intangible et ne jamais se confronter à l’expérience. L’agence accrédite en outre l’idée que son souci majeur est de continuer à avoir raison et non d’explorer les doutes nouveaux qui surgissent pour les invalider ou les valider de telle manière que la sécurité alimentaire des Européens dont elle a la charge soit garantie.
Donc : exit les doutes ! Exit les recherches qui ne sont pas raccord. Et tant pis pour les consommateurs qui ne savent plus à quel saint se vouer.
Les craintes d’une grande majorité d’Européens concernant les OGM semblent sans intérêt aux yeux de l’Efsa et de la Commission. Des craintes qui ne valent pas le petit effort que seraient les expérimentations animales « vie entière » permettant de refonder ou non une confiance. Comme il est d’usage pour tester les médicaments. Ou les pesticides.
Au lieu de ça, l’Efsa semble nous dire : tous des obscurantistes, ces Européens ! Des chochottes ! Nos experts ont dit ok. Une fois pour toute. Et puis le business c’est le business. Bienvenue en Eurocratie !
Et le Bisphénol A ?
Encore une fois : si l’étude n’est pas idéale, pas satisfaisante à ses yeux, si l’Efsa la juge bâclée, pas avec les bon rats, pas avec le bon nombre de rats, pourquoi ne la renouvelle-t-elle pas dans des conditions optimum ? Pourquoi cet autisme ? Pourquoi ce déni ?
Parceque l’Efsa serait infaillible ? S’agissant du Bisphénol A, il y a de quoi s’interroger. L’agence européenne continue à garantir mordicus son innocuité alors que l’Anses (Agence de sécurité alimentaire française) concluait cette année après une énorme mise à jour de la littérature scientifique à une suspicion sérieuse sur la santé humaine. La connaissance évolue. L’Efsa ne voit toujours rien.
Pour le grand public, cette guerre civile des blouses blanches est incompréhensible. Et pourtant il faut bien avancer une hypothèse pour expliquer cette fermeture d’esprit et ce refus de l’expérience.
Attendons les conclusions de l’Anses
Il faut en effet savoir que les experts de l’Efsa avaient jugé ce maïs NK603 sans danger et ils avaient donc donné leur feu vert pour sa culture en Europe. On comprendra qu’il n’est pas confortable de se dédire ou même simplement de penser contre soi-même. Il peut être même périlleux de le faire sans engager sa responsabilité.
Etre juge et partie, un art gymnique délicat.
Il faudra donc attendre le jugement de l’Agence de sécurité alimentaire française (Anses) ce mois d’octobre pour obtenir un avis de sang froid. Un avis qui a la mission d’ouvrir des perspectives nouvelles pour lever ou pas les doutes sur les OGM et le Roundup qui lui est associé.
Guillaume Malaurie