Le démantèlement des centrales nucléaires, un marché prometteur

Depuis la catastrophe de Fukushima, c’est un marché en pleine expansion. La décision du Japon d’arrêter la quasi-totalité de ses 54 réacteurs, puis celle de l’Allemagne d’entamer sa sortie du nucléaire, en stoppant 8 de ses 17 centrales, ont dopé le secteur du démantèlement nucléaire. Sans compter que, trente ans après son déploiement massif en Europe, le parc nucléaire a vieilli, et s’approche de la fin de service. D’après une étude de la Commission européenne datant de 2004, 50 à 60 réacteurs sur les 155 en fonctionnement dans l’Union devraient être démontés à l’horizon 2025. LEMONDE.FR | 05.03.12 

Au total, 300 réacteurs devront être arrêtés dans les vingt prochaines années. S’ils ne seront pas tous démantelés immédiatement, le nombre de chantiers lancés devrait fortement croître et laisse entrevoir une véritable manne financière pour les entreprises spécialisées dans le secteur. La Cour des comptes la chiffre ainsi à un minimum de 18,4 milliards d’euros pour le seul parc français. Et le cabinet de conseil Arthur D. Little, cité par Les Echos, parle d’un marché de 220 milliards d’euros dans le monde sur vingt ans.

 « Ce marché existe depuis longtemps, mais il était jusqu’à présent limité à des volumes restreints, comme le démantèlement de laboratoires de recherche ou d’usines de transformation de combustible, explique Yves Brachet, président deWestinghouse Europe, société américaine spécialisée dans la construction, la maintenance et la déconstruction nucléaires. Maintenant, ce secteur est amené à croître rapidement : dans tous les pays dotés de l’énergie nucléaire, des réacteurs arrivent en fin de vie et les gouvernements veulent montrer qu’ils sont capables d’aller jusqu’au bout de la technologie. »

« CONCURRENCE RUDE »

Résultat : tous les acteurs du secteur sont sur le pont et se livrent une« concurrence rude », de l’aveu même des principaux intéressés. « Toutes les entreprises qui construisent des centrales se disent qu’elles peuvent aussi lesdéconstruire. Ce sont à la fois les groupes d’ingénierie et conception et ceux de génie civil, car il faut tant développer des procédés et assurer la radioprotection que démolir et découper. Le marché devient de plus en plus compétitif », livre Yves Brachet.

Du côté des Français, on trouve ainsi le géant du nucléaire Areva, le spécialiste de l’ingénierie, maintenance et déconstruction Onet technologies, ou les groupes de construction Bouygues et Vinci (via sa filiale Nuvia). A l’étranger, les grands noms sont l’Américain Westinghouse, le Britannique Amec, l’Allemand Nukem, l’Espagnol Iberdrola, l’Italien Ansaldo ou encore le Belge Tractebel Engineering(du groupe GDF-Suez).

MARCHÉS ALLEMAND, FRANÇAIS ET ANGLAIS

Au total, une quinzaine d’entreprises se positionnent sur tous les chantiers, en France comme à l’étranger. Dans leur viseur, les centrales allemandes constitueront les « marchés les plus importants des années à venir »« Les électriciens allemands et les fournisseurs préparent de façon active leur stratégie de démantèlement. [Le Français] Areva envisage, de son côté, de créer un pôle d’expertise en Allemagne », indiquent Les Echos.

Aux côtés de quelques réacteurs en Italie et en Espagne, la France, aussi, attise les convoitises. Le changement de stratégie d’EDF et la décision de procéder à un démantèlement immédiat des réacteurs après leur mise à l’arrêt définitif a en effet ouvert le marché du démantèlement dans l’Hexagone, et ce, malgré ladécision de Nicolas Sarkozy de prolonger la durée de vie des centrales au-delà de quarante ans.

>> Lire : « EDF a adopté une stratégie de démantèlement complet et immédiat« 

Neuf réacteurs sont déjà en cours de déconstruction, jusqu’en 2040. A Chooz (Ardennes), par exemple, le démantèlement des équipements nucléaires a été réparti en trois lots : les démantèlements du circuit primaire et des équipements nucléaires annexes ont été remportés par Onet, tandis que le démantèlement de la cuve du réacteur et de ses équipements internes est revenu à Westinghouse et son partenaire Nuvia. Montant de ce dernier contrat : plusieurs dizaines de millions d’euros.

Parmi les gros appels d’offres qui doivent bientôt être lancés, le groupe américain vise maintenant la centrale du Bugey, dans l’Ain, et notamment le démantèlement du bâtiment réacteur, dont « le coût devrait atteindre les 100 millions d’euros », selon Yves Brachet.

Mais surtout, tous les yeux sont rivés vers le Royaume-Uni. Outre le démantèlement des onze centrales Magnox (édition abonnés), un modèle de réacteur à refroidissement par gaz, les entreprises de déconstruction attendent avec impatience la fin de vie de l’immense usine de retraitement des déchets nucléaires de Sellafield, dont le futur contrat « pourrait flirter avec le milliard d’euros », selon Westinghouse.

COURSE TECHNOLOGIQUE

Pour se différencier et gagner leur ticket d’entrée dans les futurs marchés, les entreprises concurrentes misent, au-delà du déploiement commercial, sur le développement de technologies toujours plus pointues : techniques de découpe dans l’eau, au laser ou avec aspiration, pour éviter au maximum la dispersion de poussières radioactives, robots dernier cri pour éviter l’intervention humaine, ou procédés de décontamination sans effluents. « On doit donc faire appel à des compétences d’ingénierie nucléaire, mais aussi aux métiers industriels classiques, comme la mécanique ou l’électrique », précise Yves Brachet.

Des techniques plus performantes, aussi, pour gagner en efficacité. Car, si le respect des délais s’avère moins sensible dans la déconstruction que pour la construction, dans la mesure où la production électrique n’est pas en jeu, chaque retard entraîne néanmoins des dépenses importantes. Et vu le nombre de réacteurs qui devront être déconstruits, les électriciens ont tout intérêt à ménager leurs liquidités.

Audrey Garric

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