|
||
S’agit-il, ou pas, de fermer des réacteurs ? Et quelle trajectoire énergétique la France semble-t-elle prendre au vu des orientations actuelles ? Pour répondre à ces questions, nous avons sollicité le point de vue de Bernard Laponche, expert en politiques de l’énergie et de maîtrise de l’énergie et membre de l’association Global Chance. http://www.sortirdunucleaire.org/Reduire-la-part-du-nucleaire,444 1. Réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique, ça veut dire quoi exactement ? L’expression « mix énergétique » (certains disent aussi quelquefois le « bouquet énergétique ») est utilisée pour décrire l’ensemble des sources ou des produits énergétiques qui contribuent à une certaine production ou consommation d’énergie, avec la part de chacun. On peut parler du mix énergétique de la consommation d’énergie primaire d’un pays (sources naturelles à l’origine des produits énergétiques que nous consommons : charbon, gaz fossile dit gaz naturel, pétrole, uranium, biomasse, hydraulique, éolien, solaire photovoltaïque ou thermique, géothermie), ou de sa consommation énergétique finale de gaz, essence, fuel, électricité, bois…(consommation par les utilisateurs finals : industrie hors industries de l’énergie ; transports ; résidentiel, tertiaire, agriculture). Votre question porte en fait sur le mix énergétique de la production d’électricité et elle se réfère à l’engagement du Président de la République de « réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75% aujourd’hui à 50% en 2025 ». Pour l’année 2010, le mix énergétique de la production brute d’électricité en France est le suivant : 75% nucléaire (électricité produite à partir de la chaleur produite dans le réacteur nucléaire à combustible uranium), 10% fossile (combustion de gaz, charbon, produits pétroliers), 12% hydraulique (barrages), 3% autres énergies renouvelables (éolien, biomasse, photovoltaïque). Ces valeurs sont pour la France métropolitaine, y compris la Corse. La production brute d’électricité était en 2010 de 572 milliards de kWh (ou TWh : teraWattheure) et la consommation finale d’électricité était de 446 TWh [1], se répartissant en 29% dans l’industrie, 3% dans les transports (trains, métros, trams), 38% dans le résidentiel (logements), 29% dans le tertiaire (bureaux, établissements de santé, éducation, tourisme, etc.) et 1% ans l’agriculture. 2. Que signifie alors la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité ? Lorsque l’on parle de réduire la part d’une source d’énergie dans la production d’électricité à l’horizon 2025, il faut savoir à quelle production totale on se réfère. Il faut donc savoir quelle production totale d’électricité pour la France en 2025 on se donne pour objectif, afin de déterminer la quantité d’électricité d’origine nucléaire à cet horizon :
On voit que la phrase « réduire de 75% aujourd’hui à 50% en 2025 la part du nucléaire dans la production d’électricité » signifie des baisses de la production d’origine nucléaire très différentes selon l’évolution de la consommation totale d’électricité, voire pas de baisse du tout. 3. Comment se situe sur ce sujet l’engagement de l’accord entre le PS et EELV signé en prélude à la campagne présidentielle ? Dans le document « 2012-2017 : socialistes et écologistes, ensemble pour combattre la crise et bâtir un autre modèle de vivre ensemble » signé entre les deux partis le 15 novembre 2011, on lit en effet : « Nous réduirons la part du nucléaire dans la production électrique de 75% aujourd’hui à 50% en 2025 et engagerons : On voit que l’engagement de cet accord n’est pas compatible avec la vision « productiviste » et s’inscrit dans un scénario de transition énergétique avec une politique forte d’économies d’électricité et de développement des énergies renouvelables. On sait que l’ex-candidat PS et Président actuel ne se considère pas comme lié par cet accord et a jusqu’à présent limité ses engagements à la réduction de la part du nucléaire et non de la puissance totale du parc nucléaire ainsi qu’à la fermeture définitive de la centrale de Fessenheim fin 2016. On a tout à fait le sentiment d’un Gouvernement « sous influence » qui commet à mon avis deux erreurs majeures et dangereuses à plusieurs égards. La seconde est la non compréhension de la transition énergétique qui s’impose au monde entier, basée sur la sobriété, l’efficacité énergétiques et le développement des énergies renouvelables mais aussi la décentralisation et la territorialisation des systèmes énergétiques, ce qu’a très bien compris l’Allemagne qui, en parallèle, a décidé de « sortir du nucléaire » pour les trois raisons fondamentales qui sont les déchets radioactifs, le risque d’accident grave et la prolifération nucléaire. A ne pas jouer franchement la carte de la transition énergétique, à s’enfermer dans la poursuite du nucléaire, la France est en train de perdre une occasion historique de modifier son mode de développement, ce qui est néfaste sur le plan environnemental (risque climatique, risque d’accident, pollutions et déchets) mais aussi sur celui du développement de nouvelles activités et de l’emploi, sur l’ensemble du territoire. 4. Que préconisez-vous pour une vraie transition énergétique permettant la sortie du nucléaire ? Sur cette question, je pense que la réponse la plus complète est apportée par le scénario énergétique négaWatt pour la France d’ici à 2050. Il faut lire absolument le « Manifeste négaWatt » publié par l’association éponyme en 2012 [2]. Pour faire bref, je vais citer quelques éléments de la conclusion du livre « En finir avec le nucléaire » de Benjamin Dessus et moi-même, publié au Seuil en septembre 2011 : « La sortie du nucléaire sans à-coups est possible sur une vingtaine d’années…
Bernard LAPONCHE est polytechnicien et docteur ès Sciences en physique des réacteurs nucléaires Notes[1] La consommation finale est égale à la production brute moins l’autoconsommation des centrales (24 TWh), moins les pertes dans le transport et la distribution (34 TWh), moins la consommation du secteur de l’énergie (37 TWh), moins les exportations d’électricité (51 TWh), plus les importations d’électricité (20 TWh). [2] Retrouvez ce scénario, ainsi que d’autres menant à une sortie plus rapide du nucléaire en France, sur notre site : http://www.sortirdunucleaire.org/index.php?menu=sinformer&sousmenu=themas&soussousmenu=plus&page=alternatives |
Oct 11 2014