La triple irresponsabilité du nucléaire français

Le gouvernement français a décidé, en date du 30 décembre 2015, de s’asseoir purement et simplement sur les règles de sécurité de 2005 concernant les cuves des réacteurs nucléaires. « L’arrêté publié en catimini le 3 janvier 2016, prévoit que si on ne respecte pas une exigence essentielle, alors on peut, sous réserve de produire un dossier, démontrer que ce n’est pas grave », précise Sylvie Cadet-Mercier, directrice à l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire). Cela permettra évidemment de casser le thermomètre pour ne pas mesurer la fièvre et en particulier de s’abstraire des règles de sécurité qui rendent probablement impossible le feu vert de l’Autorité de Sureté Nucléaire à l’EPR de Flamanville. Corinne Lepage 15/01/2016 

Mais cet arrêté qui autorise dans son article 9 les dérogations sous la seule responsabilité de l’ASN semble de surcroît dégager de toute responsabilité l’exploitant comme l’organisme tiers chargé du contrôle du fait de la délivrance de cette dérogation. Et cette possibilité concerne bien évidemment l’EPR de Flamanville dont la cuve et le couvercle du réacteur ont été jugés si ce n’est défaillants, du moins ne répondant pas aux exigences de sécurité telles qu’elles existaient en 2015, mais aussi tous les réacteurs soumis au grand carénage. Cela signifie très clairement que le gouvernement vient de mettre sur la tête de tous nos concitoyens un double risque: le risque d’accident nucléaire puisque les règles de sécurité, qui sont pourtant antérieures aux stress tests (2005) ne sont pas respectées -et sauf à être totalement stupide, personne ne peut croire que l’existence de ces règles est inutile- et le risque financier puisque l’exploitant comme l’organisme de sûreté se déclareront non responsables, car aucune attestation de conformité n’étant signée par eux, cela signifie très clairement qu’ils reconnaissent par avance l’absence du respect des règles de sécurité. Ce risque majeur pris par le gouvernement tient bien évidemment à l’absolue nécessité pour EDF d’obtenir un feu vert pour l’EPR de Flamanville, pour toute une série de raisons.

À commencer par le fait qu’il ne peut y avoir d’exécution de l’accord anglais, auquel EDF semble tenir comme à la prunelle de ses yeux, sans mise en service de Flamanville. Mais aussi parce que l’image détestable qu’ont créé les fiascos de Flamanville et d’Olkiluoto ne peut de surcroît supporter un arrêt pur et simple du projet d’EPR à Flamanville, qui flirte avec les 10 milliards d’euros et qui serait définitivement compromis en cas de feu rouge donné par l’ASN. Dans la mesure où les règles de sûreté ne sont probablement pas respectées, la seule possibilité pour que le feu vert soit donné consiste à casser le thermomètre et le gouvernement n’a pas hésité à le faire.

La seconde irresponsabilité est d’ordre financier et industriel, dans la mesure où la volonté de continuer à investir massivement dans le nucléaire, puits sans fonds, est à la fois très onéreuse et à contre-courant. Le démembrement d’Areva, rendu inévitable par une situation financière quasi désespérée impose des choix cornéliens, un coût financier pour l’Etat considérable et une fragilisation d’EDF.

Des choix cornéliens tout d’abord puisque le concept même qui était à la base d’Areva, à savoir une entreprise capable de répondre au cycle global du nucléaire (depuis la production de combustible jusqu’au traitement des déchets en passant par les réacteurs) disparaît. Mais ce démantèlement ne suffit pas compte tenu de l’état financier de l’entreprise qui doit faire appel à des capitaux étrangers notamment chinois, ce qui se marie assez mal avec l’indépendance nationale qui constituerait un des « atouts » majeurs du nucléaire.

En second lieu le coût financier pour l’État considérable, puisqu’en tant qu’actionnaire, il doit renflouer Areva d’un montant qui n’a pas été encore rendu public mais de l’ordre probablement de 2 à 3 milliards d’euros. Rien ne démontre bien au contraire que ces 2 à 3 milliards ont une utilisation optimale pour renflouer une entreprise dont l’objet même -le retraitement des déchets nucléaires- est devenu inutile… sauf pour sauvegarder les emplois de la Hague. Il serait infiniment plus intéressant de réfléchir immédiatement à la transformation du site de La Hague pour assurer une activité économique pérenne, à côté de l’obligation d’entretenir et d’assurer la maintenance des installations existantes.

Enfin, l’obligation faite à EDF de racheter une partie d’Areva soulève beaucoup plus de difficultés qu’elle n’apporte d’avantages. Devenu en effet fabricant de réacteurs et pas seulement exploitant, EDF aura les plus grandes difficultés à vendre à ses propres concurrents. De plus, le coût probablement, un peu moins de 3 milliards d’euros, est important alors même qu’EDF doit financer les deux réacteurs anglais à hauteur de 24 milliards d’euros et surtout se trouve confronté à la falaise financière que constitue la mise aux normes et a fortiori la prolongation de la durée de vie des 58 réacteurs français. C’est sans doute la raison pour laquelle EDF annonce la vente d’une partie de ses actifs pour retrouver de la trésorerie. Et c’est également la raison pour laquelle la sécurité en pâtit et les investissements vont se faire à l’économie. Mais surtout, ce faisant, notre champion national passe à côté de la révolution énergétique, celle des énergies vertes. La bataille menée pour faire classer parmi les énergies renouvelables, ce qu’elle n’est évidemment pas, l’énergie nucléaire a été perdue et c’est principalement dans le solaire que se font aujourd’hui les investissements. Mais EDF ne peut pas investir massivement dans le solaire et de manière plus générale dans le renouvelable en maintenant le tout nucléaire français.

Et c’est là la source de la troisième irresponsabilité: celle de la cécité absolue sur la transformation rapide à laquelle nous assistons. L’envol du renouvelable, la baisse historique des coûts de production de l’éolien et du solaire, les progrès très rapides du stockage en particulier avec le système volt/gaz/volt et la baisse exponentielle du coût des batteries (voir le système Tesla) changent très rapidement la donne. Certes les premiers projets qui apparaissent sur le développement du renouvelable en France sont ambitieux ; mais ils n’auront aucun équilibre économique tant qu’EDF prétendra maintenir le niveau actuel de production d’électricité nucléaire. Il est donc probable que nous assistions, en raison de la chute brutale des prix de production d’électricité renouvelable et de la hausse constante des prix de production d’électricité nucléaire, dans un marché qui est aujourd’hui européen, à une équation financière impossible pour EDF que la bourse a déjà traduit par une baisse considérable de la valeur de l’action et une sortie d’EDF du CAC40. Si l’on ajoute à cela des menaces croissantes liées à la sécurité nucléaire, en raison du vieillissement du parc et des acrobaties juridiques destinées à délivrer des autorisations qui ne devraient pas l’être, l’équation est encore beaucoup plus préoccupante car elle expose notre pays à un risque énergétique majeur. Et tout ceci ne prend pas en compte la faiblesse de la France du marché en plein développement du renouvelable même si EDF énergies nouvelles poursuit de beaux projets… à l’étranger et Total devient un acteur majeur du renouvelable… aux États-Unis. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps et ce n’est pas parce que nos multinationales ont quelques beaux projets en vitrine que notre industrie peut réellement se développer.

Les choix comme les non- choix qui sont faits aujourd’hui poseront très clairement dans les années qui viennent la question de la responsabilité.

http://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/la-triple-irresponsabilite-du-nucleaire-francais_b_8981440.html

 

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