La terreur nucléaire sur grand écran, de Sono Sion à Rebecca Zlotowski

La catastrophe de Fukushima trouve un écho dans le cinéma contemporain : deux cinéastes d’horizons radicalement différents annoncent simultanément des projets ancrés dans le monde du nucléaire.

Les Inrocks 24/01/2012 Crédits photo:  Détail de l’affiche de « Land of Hope », de Sono Sion

Rien d’étonnant à ce que le cinéma s’empare du sinistre monumental qui a meurtri le Japon, surtout en cette année officiellement proclamée apocalyptique. On s’attend également à voir la thématique franchir les frontières japonaises, étant donné l’inquiétude croissante que génère la politique énergétique un peu partout dans le monde.

Il y a en revanche de quoi être surpris – agréablement – en apprenant quels auteurs s’y attèlent en premier. Sono Sion est moins connu comme cinéaste naturaliste que comme génie halluciné dont les visions retorses, évoquant les cauchemars trash d’un Takashi Miike, travaillent les angoisses de la société japonaise en empruntant des voies très détournées, le plus souvent déconnectées de l’actualité.

Du pays du Soleil-Levant…

Après Guilty of Romance (sélectionné à la dernière Quinzaine des réalisateurs) et Himizu, adaptation de manga tournée pendant la catastrophe et dont il avait modifié le script pour y inclure les sombres événements, Sion s’attaque encore plus directement à l’après-Fukushima avec Land of Hope, dont le tournage vient de démarrer.

Le cinéaste y retrouve ses terrains de prédilection, à savoir la famille et le couple : dans ce qui s’annonce comme un survival, on suivra un agriculteur et sa femme enceinte (Megumi Kagurazaka, starlette pulpeuse déjà à l’affiche deGuilty of Romance) contraints de quitter leur ferme suite au séisme destructeur. »Je crains que nous finissions par accepter simplement les radiations comme une fatalité, et à cohabiter avec elles« , confie Sono Sion au Hollywood Reporter. Au vu de la réputation sulfureuse du cinéaste (Suicide Club, son seul film sorti en France, lui avait attiré l’opprobre à domicile), on peut considérer qu’il prend ici un risque certain en abordant un point resté si sensible.

… à celui des centrales nucléaires

Pendant ce temps-là, dans le premier pays nucléarisé du monde, une cinéaste planche également sur le sujet. Rebacca Zlotowski, lauréate du prix Louis Delluc avec Belle épine en 2010, retrouve Léa Seydoux pour Grand Central, son second long métrage. Cette dernière donnera la réplique à Tahar Rahim dans une histoire d’amour impossible entre deux ouvriers d’une centrale. Le producteur Frédéric Jouve a toutefois précisé que l’écriture du scénario avait commencé avant l’explosion du fameux réacteur en mars dernier.

Gary, le héros campé par Tahar Rahim, est tout de même présenté par la production comme « une tête brûlée que le jump au cœur du réacteur attire ». On peut imaginer que la catastrophe de l’année 2011 imprègne l’écriture et l’interprétation du personnage.

Qu’il s’agisse d’une simple toile de fond chez Zlotowski ou d’une franche charge politique chez Sion, le nucléaire s’offre comme sujet fructueux, et même incontournable, pour le cinéma contemporain : le fait qu’on le retrouve à l’Est comme à l’Ouest atteste sa puissance polémique et anxiogène.

Le tournage de Grand Central est prévu pour début juillet, tandis que Land of Hope a déjà une sortie annoncée pour la fin de l’été au Japon.

Yal Sadat

Critique de HIMIZU sur Rue 89

« Himizu », film optimiste de Venise : on sort en levant le poing

(De Venise) On a connu Sion Sono en habitué du Forum de Berlin. Cette année, il était à la Quinzaine de Cannes, avec un film très au dessus de la moyenne de la sélection. Il enchaine avec Venise, où il entre par la porte principale. La place « naturelle », pour ce cinéaste excessif et peu conventionnel, aurait été Orizzonti, le laboratoire de la biennale.

Mais l’intelligence de Venise a toujours été de rompre avec les habitudes et de tromper les règles. Pas systématiquement – ça annulerait le coup. Pas pour des films à cheval entre mainstream et underground. Chaque année le président de la biennale, Müller choisit pour la compétition un ou deux films, qui semblent a priori parfaits pour la sélection parallèle – qu’une grand partie du public et de la presse ne suit jamais. Rusé et réussi.

Mamma Roma et Mao

Sumida ! Sumida ! Si vous cherchiez un cri pour le prochain siècle, le voici. Comment l’émettre ? Prenez une jeune fille japonaise, assez mignonne, un peu rêveuse. Mettez là dans son collège, à deux bancs de distance d’un jeune homme, japonais lui aussi, ressemblant (c’est important) au pasolinien Ettore Garofalo (le héros de Mamma Roma). Lui, il se moque de l’école et de la rhétorique du prof qui appelle la jeunesse à un effort collectif et à un épanouissement individuel à la fois.

Quelque chose de maoïste (que mille fleurs éclosent) avec une touche occidentale (chaque fleur est unique). Il n’est pas d’accord Sumida. il veut se ternir tranquillement dans un commerce de location de bateaux, il veut être ordinaire, le crie très fort, comme un soixante-huitard. Elle, elle lui fait écho, tout aussi fort. Dans sa chambre, elle inscrit les propos de Sumida sur des dadzibaos. Elle est complètement amoureuse de lui. Lui aussi, mais il ne le sait pas (encore). Au vrai, Sumida ne va pas très bien. Va-t-elle réussir à le sauver ?

Fukushima et le manga

Hizumi adapte un manga. L’action se passe presque entièrement près d’une paillotte au bord de l’eau qui sert à la fois de demeure pour Sumida et sa mère, d’abri pour un petit groupe de réfugiés de Fukushima et de bureau du petit commerce de location de bateaux. Les gens ne cessent pas de venir et de partir. La jeune amoureuse, la mère alcoolique et prostituée, le père violent qui souhaite la mort de son fils pour récupérer l’argent de l’assurance et Sumida lui même.

Une autre figure revient à plusieurs reprises : un travelling sur les ruines du tsunami accompagné du Requiem de Mozart et, en surimpression un bruit de compteur Geiger. Le film tient tout entier dans ce entre-deux, le mélodrame pasolinien relooké manga d’une part, le requiem radioactif post-Fukushima de l’autre. C’est même un jeu au carré.

Chaque côté travaille un ton différent. Le requiem et le mélo-manga est à son tour hybridé par une tonalité farcesque. C’est au niveau de la farce que les liens entre les deux régimes d’image du film se tissent.Imaginez deux hommes face à face. Ils ne se parlent pas. Ils se
regardent. Sur les épaules de chacun, il y a un enfant. Ce sont les enfants qui communiquent.

Un film comme métaphore

Le film de Sono Sion est bâti de la sorte. Les images de Fukushima ne parlent pas directement à celles de Sumida. Ce serait trop gros, trop vulgaire, trop adulte. Mais chaque partie porte sur ses épaules une autre image. Le travelling sur les débris du tsunami, porte celle, métaphorique, de l’état moral du Japon.

L’image de Sumida et de son amoureuse, que les parents respectifs veulent morts,porte celle de la jeunesse japonaise sacrifiée par les grandes personnes. La rencontre entre les deux parties du film se fait au niveau de cet échafaudage métaphorique. Là haut, sur les notes de Mozart,
elles s’harmonisent de manière naturelle et légère, l’une devenant le miroir de l’autre. Sion tape très très dur sur son héros. Il lui met d’emblée un revolver dans la main et n’a de cesse de le pousser au bord du précipice.

Il s’agit pourtant du film le plus ouvertement optimiste du festival. On sort en criant Sumida ! Sumida ! En courant et en levant le poing.

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