LA FIN DE L’ÉLECTRONUCLÉAIRE : RÉCIT ANTICIPATIF D’UNE HISTOIRE MILITARO-INDUSTRIELLE

Les découvertes de la fission nucléaire et de la réaction en chaîne avaient trouvé une application terriblement efficace avec le projet Manhattan : l’anéantissement de Hiroshima et Nagasaki en août 1945 par deux « bombes atomiques », la première à uranium et la seconde au plutonium. Leur mise au point avait nécessité un effort industriel considérable : usines d’enrichissement d’uranium, fabrication du plutonium dans des réacteurs nucléaires, puis extraction de celui-ci par « retraitement » des combustibles irradiés. Allait suivre le développement de nouveaux réacteurs pour la propulsion des sous-marins et des porte-avions.
Tout était donc prêt pour le basculement vers la production d’électricité en recourant aux mêmes techniques, favorisé par le discours « L’atome pour la paix » du président Eisenhower aux Nations Unies en 1953 et le Price Anderson Act (1957) qui reportait sur l’État la responsabilité financière en cas d’accident grave. S’y ajoutait la création en 1957 de l’Agence internationale pour l’énergie atomique
des Nations Unies, ayant en charge la promotion de l’énergie nucléaire civile, puis, en 1968, le contrôle de l’application du Traité de non-prolifération des armes nucléaires, une double responsabilité non exempte d’ambiguïté (1).
L’atome pour la paix profitait d’emblée de l’existence d’un système de R&D et de production industrielle et bénéficiait de l’image rédemptrice d’un nucléaire au service du progrès et de la coopération internationale, à la fois sûr et bon marché (2). Cette alliance de Prométhée et de Janus ouvrit, dès la fin des années 1950, une période de développement de la production d’électricité d’origine nucléaire basée sur les techniques héritées du militaire : les réacteurs à eau et à uranium enrichi américains PWR et BWR (3) et, à un degré moindre, les réacteurs à uranium naturel, graphite, gaz (UNGG), au Royaume-Uni et en France (4). Le poids de l’héritage militaro-industriel était tel à l’époque que ni les considérations de sûreté des réacteurs ni la nature des déchets radioactifs ne furent des critères pris en compte pour asseoir les choix techniques concernant tant les réacteurs que le combustible (5).

En partant du constat du caractère militaro-industriel du développement de la production d’électricité d’origine nucléaire, nous présentons dans cet article l’évolution sur la période 1950-2018 de cette industrie, allant du succès au déclin, lequel est dû à la fois à l’occurrence des grands accidents nucléaires de Three Mile Island, de Tchernobyl et de Fukushima et à la perte de sa compétitivité économique du fait de l’augmentation de ses coûts de production et de la baisse spectaculaire (très rapide à partir des années 2010) du coût des productions concurrentes d’origine renouvelable – l’éolien et le photovoltaïque –, sans que l’argument des faibles émissions de CO2 de l’électronucléaire puisse faire pencher la balance en sa faveur.

À partir de ce constat, nous présentons les évolutions conduisant à la sortie du nucléaire dans les différents pays et régions du monde et tout particulièrement en France, à partir du « grand tournant » de la décennie 2020-2030, qui verra l’instauration d’une politique énergétique basée sur la sobriété et l’efficacité énergétiques au niveau de la demande et sur les énergies renouvelables au niveau de l’offre, pour aboutir, pour ce qui concerne la production d’électricité, à la fin de l’électronucléaire dans le monde sur la période 2040-2050.

Par Bernard LAPONCHE
Président de l’association Global Chance

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