C’est la chute d’un autre géant de l’atome, après celle d’Areva. Le fabricant de réacteurs nucléaires américain Westinghouse, filiale du conglomérat japonais Toshiba, a demandé ce mercredi 29 mars sa mise sous protection de la loi sur les faillites aux Etats-Unis, le fameux «Chapitre 11». Basée à Pittsburgh, en Pennsylvanie, depuis sa fondation en 1886 par George Westinghouse, la firme n’est autre que le numéro un mondial de l’industrie nucléaire avec plus de 50% des centrales dans le monde équipées de sa technologie de réacteurs à eau pressurisée (PWR en anglais, REP en français) : celle-là même qui équipe aujourd’hui la quasi-totalité du parc nucléaire français. 54 des 58 réacteurs d’EDF ont en effet été construits par le français Areva-Framatome… Mais sous licence Westinghouse concédée en 1974.

Spécialisée à l’origine dans tous les équipements électriques – de l’interrupteur à l’ascenseur en passant par l’électroménager et les postes radio –, la compagnie au fameux W cerclé a longtemps été un symbole de la puissance économique américaine, jusqu’à devenir propriétaire, dans les années 90, du «network» de télévision américain CBS. Mais cette diversification tous azimuts aura raison de sa cohérence industrielle : après bien des rebondissements, sa division nucléaire Westinghouse Electric Company passe en 2006 sous pavillon japonais, au grand dam des syndicats américains. C’est le début des ennuis.

«Hiver nucléaire»

Le ralentissement des projets de nouvelles centrales dans le monde qui a suivi Tchernobyl devient un véritable «hiver nucléaire» en 2011, avec la catastrophe de Fukushima. Et malgré un nouveau réacteur réputé plus sûr et plus adapté aux besoins des électriciens baptisé AP-1000 (pour 1 000 megawatts de puissance), Westinghouse subit de plein fouet le report de plusieurs projets nucléaires aux Etats-Unis et partout ailleurs. Pour ne rien arranger, l’entreprise a mal évalué son exposition aux risques dans la construction de deux centrales atomiques en Géorgie et Caroline du Sud aux Etats-Unis, dont la facture va finalement précipiter son dépôt de bilan. Car Toshiba, qui avait racheté l’américain au prix fort (5,4 milliards de dollars) il y a dix ans, traverse lui-même une mauvaise passe financière et ne veut plus renflouer le navire en perdition. Il faut dire que Westinghouse a accumulé un endettement de près de 10 milliards de dollars (plus de 9 milliards d’euros) et que sa faillite devrait contraindre Toshiba à annoncer une perte de 1 010 milliards de yens (8,4 milliards d’euros) cette année…

La descente aux enfers de Westinghouse n’est pas sans rappeler celle de son concurrent français Areva qui a été sauvé de la faillite en 2016, après l’annonce d’une perte de 5 milliards d’euros, grâce à un plan Orsecdéclenché par les pouvoirs publics français : recapitalisation à hauteur de 4 milliards d’euros par l’Etat actionnaire, entrée au capital à hauteur de 10% des japonais JNFL et MHI, mariage forcé de la branche réacteurs Areva NP avec EDF, etc. Dans le cas français, les mêmes causes ont produit les mêmes effets que chez Westinghouse. Avec en sus la débâcle des projets de réacteurs EPR d’Olkiluoto en Finlande (construit par Areva) et de Flamanville en France (EDF) qui coûteront au final le triple – plus de 10 milliards d’euros – de ce qui était prévu. Et plus récemment, l’affaire des falsifications à l’usine Areva du Creusot, qui avait pris l’habitude d’arranger les dossiers des gros composants de forge nucléaire (couvercles et fonds de générateurs de vapeur notamment) ne répondant pas à toutes les exigences de sûreté en matière de résistance métallurgique…

Coréens et chinois sur les rangs ?

Mais à la différence de ce qui s’est passé en France où l’atome relève toujours du pouvoir régalien, Westinghouse ne pourra pas compter sur un plan de sauvetage «made in USA» sauf tocade spectaculaire de Donald Trump. L’entreprise a précisé dans un communiqué avoir obtenu un financement bancaire de 800 millions de dollars pour poursuivre ses activités pendant sa restructuration. Et à Tokyo, Toshiba s’est dit prêt à contribuer à hauteur de 200 millions de dollars au financement d’urgence de Westinghouse. La mise en faillite de Westinghouse devrait favoriser l’émergence de repreneurs industriels ou financiers. On pense à General Electric mais peu de chances que le géant américain de l’énergie se risque sur le dossier. Le coréen KEPCO pourrait aussi être sur les rangs, tout comme les bras armés du consortium nucléaire chinois, les puissantes CNNC et CGNPC, restées à la porte d’Areva. Mais pour le coup, Trump pourrait mettre son veto à une candidature chinoise, et pour l’heure c’est donc l’inconnue pour les 12 000 salariés de Westinghouse à travers le monde, dont 4 000 en Europe et 500 en France.

Prévisions de production d'électricité dans le monde par sources d'énergie (source AIE)

Après celle d’Areva, la faillite de Westinghouse est en tout cas un nouveau signe que rien ne va plus dans le nucléaire. EDF a beau avoir remporté un mega-contrat pour la construction des deux réacteurs EPR d’Hinkley Point outre-manche au risque de mettre en péril ses finances. Et même si la Société française de l’énergie nucléaire vante l’atome comme l’énergie «indispensable pour éviter le changement climatique et réduire les émissions de CO2», le nucléaire subit un net coup d’arrêt un peu partout dans le monde, sauf en Chine et au Royaume-Uni. Depuis 2011 et l’arrêt des réacteurs japonais, le nucléaire représente toujours 12% du mix électrique mondial, loin derrière les énergies carbonées (gaz, pétole, charbon) et renouvelables (hydraulique, éolien, solaire…). Et malgré 72 réacteurs nucléaires en construction et 160 à l’état de projet (qui risquent de le rester), la part de l’atome dans le mix électrique mondial risque de plafonner dans les années à venir selon les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE)

Evidemment, Greenpeace n’a pas traîné pour se réjouir de cette faillite qui, pour l’ONG, est celle de l’atome : Toshiba/Westinghouse est responsable de la construction de plus de réacteurs nucléaires dans le monde que n’importe quelle autre entité. Avec la déroute de Westinghouse, «c’est clairement le nucléaire qui est en chute libre», a estimé l’organisation environnementale dans un communiqué. Greenpeace met notamment en avant les 147 gigawatts de puissance électrique en énergies vertes installées en 2015, contre 11 gigawatts seulement pour le nucléaire. L’atome est encore loin d’être atomisé par les renouvelables, mais les partisans d’une transition énergétique radicale ont le sentiment d’avoir le vent dans les éoliennes.

Jean-Christophe Féraud