La cuve, talon d’Achille de l’EPR

La cuve de l’EPR est l’objet de doutes sérieux depuis le printemps dernier. La publication le 16 décembre par l’Autorité de sûreté nucléaire d’un avis sur les essais qu’AREVA devra réaliser donne à voir l’ampleur du problème. Au vu des éléments techniques révélés, il est temps de décider d’arrêter ce chantier hors de prix. PAR GUILLAUME BLAVETTE Blog Mediapart 17 DÉC. 2015

C’est toujours la scoumoune au bâtiment réacteur de l’EPR….

Les avis et autres prises de positions des experts officiels du nucléaire sur le manque de robustesse du réacteur EPR se sont multipliés au cours des dernières semaines. Le 8 décembre, l’Institut de radioprotection et de sureté nucléaire (IRSN) publiait un Avis sur l’évaluation, en cas d’accident, des pressions et des températures dans l’enceinte de confinement du réacteur EPR de Flamanville[1]. Le 16 décembre 2015, c’est au tour de l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) de publier des documents édifiants qui donnent à voir l’ampleur du problème. Il n’est pas exclu aujourd’hui que la cuve de l’EPR se brise au vu de quelques fragilités reconnues par AREVA.

Ce n’est pas la première déconvenue rencontrée à Flamanville[2]. Malfaçons et autres défaillances se sont accumulés depuis 2007[3]. En 2013 c’était le pont polaire qui était l’objet de jugements sévères[4]. Cette année les choses ont pris une toute autre dimension. Le 7 avril 2015, l’ASN révèle une anomalie de la composition de l’acier dans certaines zones du couvercle et du fond de la cuve du réacteur de l’EPR[5]. A l’issue d’essais chimiques et mécaniques réalisés par AREVA on découvre « la présence d’une zone présentant une concentration importante en carbone et conduisant à des valeurs de résilience mécanique plus faibles qu’attendues. » D’autres investigations confirment la présence de cette anomalie dans le couvercle et le fond de la cuve de l’EPR de Flamanville. Manifestement Creusot-Forge n’a pas maitrisé le procédé de fabrication. Les zones qui contiennent des concentrations importantes non désirées d’éléments tels que le carbone, qui peuvent dégrader les propriétés mécaniques de l’acier, n’ont pu être éliminées.

D’aucuns s’inquiètent des conséquences de cette faiblesse structurelle de la cuve. « Ce dernier rebondissement est le coup de grâce porté au réacteur EPR, déclare Yannick Rousselet. Le chantier de Flamanville doit être stoppé immédiatement afin de cesser de gaspiller des fortunes d’argent public dans ce cauchemar industriel[6]. » WISE-Paris est plus précis encore. « Justifier la sûreté de la cuve défectueuse constitue désormais un défi majeur pour le fabricant Areva et pour l’exploitant EDF, considère Yves Marignac. La seule alternative à la production d’une démonstration acceptable consiste à réparer ou remplacer les équipements défectueux, ce qui apparaît difficilement réalisable et particulièrement coûteux dans le cas du fond de cuve. Par conséquent, c’est bien l’avenir de l’ensemble du projet Flamanville-3 qui est remis en question[7]. »

Mais _ comme on pouvait si attendre _ le gouvernement vole au secours de l’EPR alors que laloi de transition énergétique pour la croissance verte est en cours de finalisation.

 

Ségolène Royal ramène le problème à une simple question technique. « La clarification est faite, les choses sont dites, il y a un complément d’examens, de tests qui vont avoir lieu, dont les résultats seront rendus publics à l’automne prochain, et ensuite les travaux reprendront[8]. » Il ne faudrait tout de même pas que quelques kilogrammes de carbone viennent ruiner l’espérance nucléaire de l’Etat français à la veille de la COP 21.

Pierre-Franck Chevet ne partage guère cette confiance du pouvoir politique. Un dialogue technique commence alors entre AREVA, EDF et l’ASN pour mieux cerner « l’importance de l’anomalie, essayer de la qualifier et de voir quels impacts elle a potentiellement sur la sûreté. » Le mandat de l’Autorité de sureté est très clair : il faut coute que coute sauver l’EPR en essayant de trouver un compromis acceptable entre fiabilité et robustesse. L’Etat veut que l’EPR démarre reste à déterminer dans quelles conditions…

Au début de l’été la tempête semble passée. Le chantier EPR se poursuit tant bien que mal quelles que soient les faiblesses de la machine soigneusement cachées par le maitre d’ouvrage et son partenaire industriel[9]. Tout au plus on admet que le chantier durera un peu plus longtemps que prévu. Il ne faudrait tout de même pas donner à voir le fiasco complet de l’industrie électronucléaire. Le chantier ira à son terme. « Non, il n’est pas condamné, déclare la Ministre. EDF a communiqué pour dire que l’ouverture serait sans doute retardée d’une année[10]. »

C’est oublier que généralement les emmerdes volent en escadrille. L’ASN, dans un courrier de position en date du 31 juillet 2015, met clairement en évidence une autre faiblesse du réacteur EPR[11]. « Dans les scénarios accidentels considérés par EDF, une grande quantité de vapeur surchauffée est relâchée dans l’enceinte, ce qui peut induire un dépassement local et temporaire de la température de saturation d’eau et du profil de température enveloppe retenu. […] L’ASN estime que la démarche retenue ne permet pas de garantir le caractère conservatif des valeurs minimales d’épaisseur des matériels compte tenu des incertitudes associées aux échanges thermiques entre l’atmosphère de l’enceinte et les matériels. » En d’autres termes, il n’est pas garanti que les équipements du bâtiment réacteur puissent résister à une perte soudaine et massive de réfrigérant primaire dans l’enceinte.

Imaginez donc que la cuve se brise soudainement : un déversement massif du circuit primaire dans le bâtiment réacteur pourrait non seulement neutraliser les dispositifs de secours mais l’accumulation de chaleur et de pression pourrait entamer l’enceinte.

Les inquiétudes sont si fortes que l’ASN veut traiter à la source le risque de rupture de la cuve. Le 30 septembre 2015, le groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression est réuni pour préciser « la démarche envisagée pour justifier du caractère suffisant des propriétés mécaniques » de la cuve[12]. Les 6 pages de l’avis sont un réquisitoire féroce adressé à AREVA :

« Le Groupe permanent note que d’autres procédés de fabrication, notamment celui mis en œuvre pour les calottes de cuve de l’EPR finlandais, auraient permis d’éviter le phénomène de ségrégation majeure positive constaté.

Le Groupe permanent considère que le dossier de qualification technique présenté par AREVA pour les calottes du fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux ségrégations résiduelles positives, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et ses conséquences mal quantifiées. La qualification technique n’a pas abouti à des résultats conformes aux standards résultant des travaux du début des années 2010 sur ce sujet. »

Au final, les doutes des experts sont tels qu’ils recommandent d’initier de nouvelles investigations. « Le Groupe Permanent recommande qu’AREVA réalise sur le fond de cuve des essais non destructifs de surface, autres que le ressuage, complémentaires de ceux déjà réalisés dans le cadre de la fabrication pour conforter l’absence de défauts, dans une démarche de type qualification conventionnelle d’essai non destructif. »

Le problème est si grave qu’il échappe au cercle très fermé des experts officiels du nucléaire. L’association nationale des commission locales d’information (ANCCLI), informée de l’ampleur des doutes sur la cuve par WISE-Paris, demande la constitution d’un groupe d’expertise pluraliste pour déterminer si oui ou non l’EPR pourrait être apte au service[13]. Les arguments employés sont forts. La société civile exige d’être associé à une réflexion indispensable. Il s’agit bel et bien d’imposer au maitre d’ouvrage et à son partenaire industriel un cahier des charges solides avant de commencer les investigations recommandées par l’ASN.

Le 2 décembre 2015 les représentants des CLI ont planché toute la journée à Paris avec l’IRSN et l’ASN pour établir ce qu’il convient de mettre en œuvre pour déterminer si la cuve peut tenir et sous quelles conditions[14]. Les débats ont été si riches que l’IRSN a publié quelques jours après ce fameux document cité en introduction. La robustesse des équipements dans l’enceinte de confinement du réacteur n’est décidément pas avérée. « Certaines situations accidentelles peuvent en effet conduire à une augmentation de la pression et de la température dans l’enceinte de fonctionnement : ces variations de pression et température ne doivent pas remettre en cause la fonction de confinement de l’enceinte et l’opérabilité des matériels nécessaires à la maîtrise de ces situations[15]. » Les craintes formulées précédemment sont belles et bien attestées. Il faut à tout prix éviter que la cuve ne se rompe… faute de quoi l’accident ne pourrait être maitrisé !

Afin de répondre à l’ensemble de ses inquiétudes, l’ASN publie le 16 décembre 2015 un avis définitif sur le programme d’essais proposé par AREVA[16]. « Sous réserve de la prise en compte de ses observations et de ses demandes, l’ASN considère acceptable, dans son principe, la démarche proposée par Areva et ne formule pas d’objection au lancement du nouveau programme d’essais prévu. » Comme quoi la mobilisation de la société civile n’a pas été inutile. Elle a permis de conforter l’autorité de l’ASN face à des industriels qui ont les faveurs de Bercy.

Le courrier adressé le 14 décembre 2015 à AREVA donne à voir la résolution de l’Autorité de sureté à obtenir toutes les garanties techniques pour établir si la cuve serait apte au service :

« La présence des ségrégations, à l’origine du non-respect des valeurs de résilience mentionnées dans l’arrêté en référence, découle du procédé, retenu par AREVA et son fournisseur Creusot Forge. Celui-ci repose sur l’utilisation de lingots de fort tonnage et conduit à une élimination insuffisante des ségrégations dans le composant final pour garantir les propriétés minimales attendues pour la conception de l’équipement.

Je considère que le dossier de qualification technique que vous avez présenté pour les calottes du fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux ségrégations majeures positives résiduelles, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et ses conséquences mal quantifiées.

Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de l’EPR. Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement. Cette demande devra être justifiée au regard de solutions alternatives telles que le remplacement du fond de cuve et la fabrication d’un nouveau couvercle, et devra intégrer des mesures compensatoires vis-à-vis de l’impact de ces écarts sur le premier niveau de la défense en profondeur[17]. »

Pour autant, le pouvoir de l’ASN s’arrête là. En dépit d’une loi de transition qui aurait considérablement accrue ses prérogatives, l’Autorité de sureté n’est pas en capacité d’arrêter les opérations conduites par l’industriel. Tout au plus, elle rappelle que les équipements en cours de fabrication pourraient être refusés…

« Ainsi, sans préjuger des résultats de la démarche de justification de son aptitude au service, je n’ai pas d’objection à la poursuite des opérations de fabrication sur le couvercle de la cuve de l’EPR de Flamanville 3. Je vous rappelle toutefois qu’on ne peut pas exclure que l’instruction conduise à ne pas accepter le couvercle et le fond de cuve. »

Le bras de fer avec l’industrie nucléaire ne fait donc que commencer. Mais force est de reconnaître que le roi est nu. Quelques soient les artifices de communications déployés, ni AREVA ni EDF ne peuvent aujourd’hui cachés une évidence qui s’impose à chacun. Les imperfections et les défaillances des cuves sont telles que l’exploitation de l’EPR ne pourra jamais se faire dans des conditions annoncées lors de la demande d’autorisation de création.

La conclusion générale du Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires en date du 30 septembre 2015 ne dit pas autre chose :

« La démarche de justification qu’AREVA propose est une analyse du comportement mécanique à la rupture des calottes du fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3, fondée sur des essais menés sur une pièce sacrificielle représentative. Cette démarche pourrait mettre en évidence, le cas échéant, des marges significatives par rapport aux risques redoutés, qui permettraient alors de conclure que le procédé de fabrication confère des propriétés mécaniques au matériau d’un niveau suffisant pour prévenir ces risques.Toutefois, cela ne permettra pas d’apporter la garantie de haute qualité de fabrication, qu’apportent l’utilisation de la meilleure technique disponible et une qualification technique satisfaisante, attendue pour un composant en exclusion de rupture tel que la cuve. »

Les essais n’ont d’autres ambitions que de préciser l’ampleur du problème. Puisque les défauts de la cuve ne pourront être éliminés, l’enjeu de sureté est de justifier techniquement des règles strictes d’exploitation qui seront imposées pour éviter qu’une rupture inopinée ne survienne.

Or rien ne garantit que cela soit suffisant d’autant plus que les parties les plus fragiles seront l’objet d’un vieillissement anticipé qui ne fera qu’accroitre le problème. L’ASN a conscience de l’ensemble de ces risques. Et on ne peut que s’amuser à la lecture des ultimes demandes formulées dans le courrier du 14 décembre 2015 :

« Etant donné les enjeux de sûreté associés à la cuve de l’EPR de Flamanville 3, et sans préjuger des résultats des essais qui sont à mener et de leur interprétation, l’ASN considère nécessaire d’étudier l’ensemble des scénarios techniques alternatifs.

Demande n° 14 : L’ASN vous demande de réaliser, en lien avec l’exploitant, une étude technique des scénarios d’extraction du corps de cuve du puits du bâtiment réacteur et de remplacement de la calotte du fond de la cuve. Cette étude devra analyser les avantages et inconvénients pour la qualité de réalisation et la sûreté de l’installation.

Par ailleurs, le couvercle de la cuve est un composant qui peut être remplacé.

Demande n° 15 : L’ASN vous demande, sans préjuger des résultats de la campagne d’essais mécaniques à venir, d’étudier dès à présent la fabrication d’un nouveau couvercle de cuve en tenant compte du retour d’expérience en matière de conception et de fabrication de l’actuel. »

Somme toute, il n’est pas à exclure qu’au printemps prochain, à l’issue du programme d’essais, l’ASN reconnaisse l’inaptitude au service de la cuve du réacteur EPR de Flamanville. A quoi cela servira-t-il alors de changer le fond cuve défaillant ? A-t-on réellement les moyens de financer cet ultime artifice qui ne peut cacher le naufrage technique de l’industrie nucléaire ? La prudence ne devrait-elle pas plutôt inciter l’Etat et EDF à reconnaître l’ampleur du fiasco et donc à décider de mettre un terme dès aujourd’hui à ce projet farfelu ?

Ni la France ni l’Europe n’ont besoin de l’EPR. Il faudrait enfin le reconnaître et initier une réelle stratégie de transition au-delà du nucléaire sans attendre 2035… voire 2050.


[1]http://www.irsn.fr/FR/expertise/avis/avis-reacteurs/Pages/Avis-IRSN-2014-00403-EPR.aspx#.Vm_2wvnhCUm

[2]http://www.sortirdunucleaire.org/EPR-le-flop-monumental-du-reacteur-nucleaire-324

[3]http://stopeprpenly.org/?p=163

[4]http://www.actu-environnement.com/ae/news/epr-flamanville-chantier-retarde-pour-non-conformite-20268.php4

[5]http://www.asn.fr/Informer/Actualites/EPR-de-Flamanville-anomalies-de-fabrication-de-la-cuve

[6]http://energie-climat.greenpeace.fr/epr-le-coup-de-grace

[7]http://www.global-chance.org/IMG/pdf/wise-paris-fabrication-defauts-epr-flamanville-latest.pdf

[8]http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/04/20/l-epr-de-flamanville-n-est-pas-condamne-assure-royal_4618890_3244.html

[9]http://www.lemonde.fr/entreprises/article/2015/07/07/areva-connaissait-de-longue-date-les-anomalies-de-la-cuve-de-l-epr_4674521_1656994.html

[10]http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/nucleaire-l-epr-de-flamanville-n-est-pas-condamne-assure-royal-470245.html

[11] Évaluation des pressions et des températures dans l’enceinte de confinement d’un réacteur de type EPR en cas d’accident, CODEP-DCN-2015-015367 [http://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Courriers-de-position-de-l-ASN ]

[12]http://www.asn.fr/Informer/Actualites/L-ASN-a-reuni-le-GPE-sur-l-anomalie-affectant-la-cuve-de-l-EPR-de-Flamanville

[13]http://www.anccli.org/wp-content/uploads/2013/11/ANCCLI-Pluralisme-CuveEPR.pdf

[14] Les documents présentés par l’IRSN et l’ASN sont consultables sur le site du Collectif STOP-EPR : http://stopeprpenly.org/?p=730

[15]http://www.irsn.fr/FR/expertise/avis/Documents/Avis-IRSN-2014-00403.pdf

[16]http://www.asn.fr/Informer/Actualites/Cuve-de-l-EPR-de-Flamanville-3-nouveau-programme-d-essais

[17] Evaluation de la conformité de la cuve de l’EPR de Flamanville 3, Démarche de justification de la ténacité suffisante des calottes du fond et du couvercle de la cuve, CODEP-DEP-2015-043888, en date du 14 décembre 2015.

https://blogs.mediapart.fr/guillaume-blavette/blog/171215/la-cuve-talon-d-achille-de-l-epr

 

 

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