Janick Magne en direct de FUKUSHIMA : "je n’aime pas ce que je vois"

Janick au Japon2Chronique d’une française vivant au Japon et militante antinucléaire depuis la catastrophe de Fukushima. . Comment recommencer une vie ailleurs sans aide financière ? Trouver un logement, continuer peut-être à payer les traites du logement précédent, trouver du travail… Comment ?  Publié le 23 octobre 2013 par Janick MAGNE 

Je suis arrivée dans la ville de Fukushima (290 000 habitants, à 60km environ  de la centrale accidentée de Fukushima-1) hier vers 13 heures, en voiture, de Tokyo. J’ai pris des relevés de la radioactivité un peu partout pendant notre déplacement sur l’autoroute du Tôhoku. A 145 km de la ville de Fukushima, la radioactivité a commencé à monter. D’abord pas des chiffres énormes mais quand même 3 à 4 fois plus de radioactivité qu’à Tokyo : 0, 219 µSv/h. A Tokyo, les chiffres, dans l’arrondissement où j’habite (Toshima), sont de 0,05 à 0,08 µSv/h.  A 135 km de Fukushima, c’est passé à 0,239, puis très vite c’est monté à 0,306,  à proximité de la grande ville de Koriyama (330 000 habitants).
A la sortie Nord de Koriyama la radioactivité était plus élevée : 0,392µsv/h, puis 0,428. Et puis, entre Nihonmatsu (une jolie petite ville agricole où de nombreux producteurs bio étaient installés et que j’ai visitée en octobre 2011 — la production de champignons shiitake y est désormais condamnée) et Koriyama , c’est monté à 0,580 µSv. Au niveau de Nihonmatsu j’ai noté 0,622 puis 0,707 µSv. Nous étions alors juste à 250 km de Tokyo, panneaux indicateurs de l’autoroute faisant foi.

A la sortie de l’autoroute, pour entrer dans la ville de Fukushima, nous remarquons que le conducteur du véhicule qui nous précède tend un document au contrôle: une autorisation délivrée aux évacués leur permettant de circuler gratuitement sur l’autoroute.
Dans la ville de Fukushima, dans le quartier par lequel nous arrivons depuis l’autoroute,  j’obtiens d’abord brièvement des chiffres normaux (0,115µSv) puis très vite, selon les endroits et à mesure que nous roulons : 0,226  0,323. Au centre ville, à proximité du bâtiment officiel du gouverneur du département et ses services, le quartier est encore plus contaminé : 0,521µSv/ 0,580 / 0,601 et puis 0,664µSv (10  fois plus qu’à Tokyo ou qu’à Paris, où j’ai pris les dernières mesures cet été). Devant le commissariat de police, allez savoir pourquoi, ça baisse !
Nous décidons d’aller  à la mairie de Fukushima. Sur le parking de l’hôtel de ville, j’observe 0,340 à 0,374 µSv.

Nous cherchons l’appareil de mesure qui se trouvait encore il y a quelques mois dans le hall d’entrée. Où est-il passé ? Un peu gênée, une employée nous explique qu’il est tombé en panne…. (Moi, je comprends qu’on veut effacer de la mémoire des habitants tout souvenir de la radioactivité, tout risque de pensée subversive.)

Nous disons franchement ce que nous cherchons à  l’accueil  : où sont les sacs de déchets radioactifs qu’on voyait récemment encore à travers la ville, dans les jardins publics, au bord des routes, dans les cours des écoles ? On nous envoie au service de la décontamination. Sur des panneaux, dans un coin du hall, des panneaux avec force dessins montrent comment la municipalité s’apprête à enfouir les déchets radioactifs et donnent des indications sur le processus de décontamination. Tout le monde semble terriblement mal à l’aise, comme si nous demandions des informations sur une maladie honteuse.

Au service de la décontamination, l’ employé, visiblement mal  lui aussi,  nous répond que les déchets sont  placés en lieu sûr, à l’abri des regards, « pour ne pas donner une mauvaise image de notre ville ».
Mais alors, si personne ne sait où ils se trouvent, n’est-ce pas dangereux ? Les gens qui vivent à proximité le savent, nous dit-il. Il nous remet des documents illustrés sur l’enfouissement des déchets qui se met en place à travers le département de Fukushima. Autour de la centrale, dans la zone gravement contaminée du périmètre d’exclusion, c’est le gouvernement qui est directement en charge, mais ailleurs c’est la responsabilité des municipalités. Elles reçoivent des aides de l’Etat (nos impôts, augmentés pour cette raison), et l’Etat devra se faire rembourser par l’exploitant nucléaire TEPCO…..

Je lui pose la question qui me hante : tout cela va prendre du temps, est-ce que les gens ne vont pas tomber malades entre-temps, à vivre au milieu de toute cette radioactivité ? Il ne sait pas, il me dit que son service ne s’occupe pas de ça, que les gens doivent gérer ça eux-mêmes, que pour les enfants, il y a l’anthropogammamétrie (« whole body counting »), si les parents le désirent.

Nous repartons, on finira bien par les trouver, ces sacs de déchets ! Nous avons pris des petits routes dans les collines qui entourent la ville, au milieu de magnifiques forêts (que la région est belle ! et la montagne est partout),  nous  sommes passés dans des endroits où j’ai mesuré 1 à 2 µSv/h, on a longé des rizières sur des chemins à peine goudronnés, au bord de la nationale :  au bord d’une rizière, après récolte, il y avait 0,5 à 0,9 µSv. Comment croire (comme on nous le dit) que ce riz n’est pas contaminé ? Selon la tradition, des sortes de bonshommes de paille de riz se dressent à travers champs. J’en  mesure quelques-uns. Radioactifs.

Finalement, une petite vieille nous renseigne vaguement, du bout des lèvres (elle n’était peut-être pas censée nous informer ?), on a du mal à suivre ses indications mais nous finissons par trouver : au pied d’une forêt, un peu en hauteur, pas loin des rizières, nous voyons un mur gris, discrètement caché derrière les arbres. De loin et alors que le ciel commence à s’assombrir, j’ai vu quelque chose briller : la bande réflectrice jaune d’une veste de policier ou de gardien. Les déchets sont là, entassés derrière une immense palissade de béton, une sorte de pré radioactif clos dont l’accès est interdit . A 3 mètres de la palissade, là où nous étions: 0,6 à 1,3 µSv.

C’est là que sont déchargés les déblais de terre, d’herbe et de branchages qui proviennent des propriété décontaminées. Reste à décontaminer le « côté montagne » des propriétés : la partie qui fait face à la montagne, plus atteinte par le ruissellement d’eaux et de boues radioactives. Le gardien est assez loquace, je suis sûre qu’il s’ennuie, et puis il fait froid, humide et sombre. Mais il ne nous laisse pas approcher de l’entrée.

Retour vers les quartiers plus animés, des gamins rentrent de l’école, sans masque, sans protection particulière, en culottes courtes, alors que je relève à un mètre de hauteur 0,5 à 1 µSv/h et,  au niveau de leurs souliers et de leurs petites jambes, le long des trottoirs, au bord des fossés fleuris, jusqu’à 2 µSv/h. Vous venez d’où ? Pourquoi vous êtes là ? me demandent-ils, rieurs. Je voudrais les mettre en garde, je n’ose pas, ils ont 8 ans à tout casser. « Je suis Française, allez, vite, dépêchez-vous de rentrer chez vous ! » Je ne peux pas dire mieux….

Nous cherchons l’hôtel. Il n’ a pas été facile de trouver des chambres malgré ce temps pluvieux d’octobre, entre deux méchants typhons. Il y a du passage dans la région: les décontamineurs, les ingénieurs qui viennent expliquer comment enfouir les déchets. Peut-être que la ville se dit que c’est toujours bon à prendre, pour faire marcher le commerce ?

Alors, la vie continue ? Je repense à cette mère de Fukushima venue témoigner à Tokyo la semaine dernière sur ce qui se passe ici. 50% des habitants voudraient partir. Et ne peuvent pas. Comment recommencer une vie ailleurs sans aide financière ? Trouver un logement, continuer peut-être à payer les traites du logement précédent, trouver du travail… Comment ? 50%, ça fait 150 000 personnes rien que pour la ville de Fukushima.

Je lui avais demandé si je pourrais rencontrer des gens pour témoigner. Non, « les gens ne veulent plus parler ». Et je me dis qu’avec ma tête de gaijin (« étrangère ») il est clair que je viens de la grande ville, de Tokyo, et qu’à Tokyo tout le monde se fout de leurs problèmes….. Alors, pourquoi parler ?????

http://janickmagne.blog.lemonde.fr/

1 Commentaire

    • Bernard sur 23 octobre 2013 à 18 h 32 min
    • Répondre

    Merci pour ce témoignage Janick.

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