Comment expliquer que Delphine Batho, militante PS, dévouée, ait pris autant à coeur sa mission écolo et pris le risque de se faire remercier ? Le pouvoir devrait y songer. Les esprits forts qui ne voient dans l’écologie et le développement durable que des chimères d’adolescents attardés devront peut-être prendre cinq minutes pour s’interroger sur la rébellion de Delphine Batho. Par Guillaume Malaurie – Le Nouvel Observateur 5 juillet 2013
Comment expliquer que cette militante PS un peu raide qui ne s’était intéressée qu’aux questions de sécurité jusqu’à sa nomination au poste de ministre de l’écologie ait pris autant à cœur sa mission ? Et qu’elle, officier PS disciplinée qui n’a jamais toussé une seule fois à la tête de son ministère, comme elle l’a rappelé, ait tenu à se battre becs et ongles ?
Comme hier Corinne Lepage ou Chantal Jouanno pour défendre une idée d’une croissance maîtrisée qu’elle juge en déshérence ? Comment donc expliquer qu’elle soit devenue presque à son insu « une résistance que l’on veut soumettre » sur le gaz de schiste, sur les énergies alternatives ou sur le nucléaire ? Et qu’elle finisse par ses mots son intervention d’aujourd’hui : « Le ministère de l’écologie, c’est l’avenir » ? Ayrault doit s’interroger sur la transformation de Batho
Si Jean-Marc Ayrault doit s’interroger sur le boomerang Batho, au-delà de son tweet gougnafier de convocation au château Matignon, c’est cette question là qu’il devra affronter.
Pourquoi une néophyte de l’écologie, qui s’est frottée aux dossiers et aux acteurs industriels de la croissance verte, a acquis la conviction que le « grand débat sur la transition énergétique » était vital pour notre avenir, que les projets dans ce domaine était stratégiques, et que le tout pouvait donner du sens à l’impasse dans lequel se trouvent la plupart des grandes nations européennes. A commencer par la France.
Car enfin, les procès en sorcellerie de décroissance relayés par les « forces » et autres « puissances économiques » industrielles ou financières au sommet de l’Etat évoquées par Delphine Batho et qui « demandaient (sa) tête », sont aujourd’hui quelque peu surréalistes. La croissance nulle et négative, nous y sommes presque déjà entrés. Et la question que tout gouvernement est en devoir de se poser, c’est d’en sortir en utilisant tous les leviers, et non pas seulement en enfonçant le nécessaire frein budgétaire.
L’extrême solitude du soldat Batho
D’une certaine façon, le coup de gueule de Batho a ressuscité l’écologie de son ping-pong politicien. Pour la première fois au PS, il ne s’agit plus un bras de fer entre les raisonnables socialistes et des utopistes verts mais d’un clivage ouvert entre la très jeune social-écologie et la vieillissante social-démocratie à l’intérieur du Parti Socialiste. Comme jadis entre l’UMP Jouanno et l’UMP Christian Jacob. Pour le PS, c’est nouveau. Comme est nouveau le fait que Delphine Batho reste au PS – pour l’instant – et rallie la Fondation Hulot. C’est bien premier encarté à la rose qui rejoint la FNH !
Pour le reste, la rage contenue de Batho exprimait l’extrême solitude dans laquelle elle menait depuis des semaines son action. Sur le grand débat sur la transition, elle regrette « le déficit d’engagement du 1er Ministre », appelé plusieurs fois à la rescousse. Sur l’absence d’autorité à l’égard d’EDF et particulièrement de Henri Proglio dans l’affaire de la fermeture de Fessenheim, elle en a encore manifestement beaucoup sous le pied. Et à voir comme elle est partie, elle devrait shooter assez vite.
Ceux qui prédisaient étrangement son départ…
Plus graves, sont les accusations de « Batho Bashing » qui transitent par l’Elysée et par Matignon. Batho n’a pas confirmé, mais elle a lourdement insisté sur les déclarations vraiment très prophétiques du PDG de Vallourec annonçant publiquement son départ imminent au motif qu’elle était un « désastre ». Or, Philippe Crouzet est le mari de Sylvie Hubac, directrice de cabinet de François Hollande. Est-elle la pythie de son mari PDG ? Mêmes mises en cause des membres du cabinet de Matignon, qui buzzent le pouce baissé sur la ministre de l’écologie à la nuque raide. Les accusations sont graves car elles supposent une manœuvre de déstabilisation alors même que Delphine Batho présidait au nom du gouvernement et au nom des engagements du Président de la République, le grand débat sur la transition énergétique.
Le tableau noir du pouvoir dessiné par Batho
Le tableau du pouvoir central que dessine Delphine Batho, certes sous le coup de l’émotion, est celui d’un navire amiral travaillé jour après jour par les forces et les vents contraires et dont la puissance de propulsion s’épuise. Hors les économies budgétaires sur le carburant, ce qui se décide et ce qui se proclame sur le pont serait à chaque instant réversible. Discutable. Amendable jusqu’à ce que le cabotage interdise la haute mer.
Bien sûr, il y a matière à sourire quand Delphine Batho découvre subitement en juillet 2013 qu’il y a eu un « tournant de la rigueur » après deux budgets rabotés. Mais elle a raison quand elle demande du sens, de l’espoir et un horizon à la sortie du tournant. Et que sur le financement de la transition énergétique et sur le plan de réhabilitation thermique, elle constate que la fiscalité écologique risque d’être principalement fléchée vers un budget général « vide » et non vers les investissements d’avenir verts. Que le budget de l’Ademe, sa seule administration véritable, le bras armé de la transition, soit amputé d’un trait de plume dans la lettre de cadrage rendu public par Matignon avant toute négociation est, il faut le reconnaitre, difficile à vivre.
Batho détaillait la chirurgie lourde : « 17% du budget de l’Ademe, précise-t-elle, soit 80 millions supprimés ».
On notera que parmi les ministres qui ne lui ont envoyé aucun message de sympathie, c’est à dire l’écrasante majorité, le plus illustre en grade s’appelle Pierre Moscovici. L’icône de la vieille Social Démocratie.