Greenpeace: Les 58 réacteurs nucléaires français aussi fragiles que ceux de Fukushima

Jamais l’atome n’aura fait l’objet, en France, d’autant d’études, de rapports et de contre-rapports. Après l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), la Cour des comptes et la commission « Energies 2050 », c’était au tour de Greenpeace de rendre  publique, lundi 20 février, une « analyse critique des évaluations complémentaires de sûreté menées sur les installations nucléaires françaises après Fukushima ». LEMONDE.FR | 20.02.12 

Principale conclusion : ces évaluations comportent « trop de limites et de lacunes pour fonder des décisions définitives ». Autrement dit, les mesures de renforcement de la sûreté du parc nucléaire préconisées par l’ASN sont mal étayées. Et elles ne permettent donc pas de parer à tous les risques d’un risque d’un accident majeur.

>> Le rapport de Greenpeace sur la sûreté nucléaire en France post-Fukushima

La contre-expertise de Greenpeace-France, un épais document technique de 178 pages, a été réalisée par deux spécialistes du nucléaire : Arjun Makhijani, président de l’Institute for Energy and Environnental Resarch (IEER), une Organisation non gouvernementale (ONG) américaine, et Yves Marignac, directeur de l’agence française d’information et d’études sur l’énergie Wise-Paris. Elle s’appuie sur les dossiers remis en septembre 2011 par EDF et par Areva, à la suite des « tests de résistance » des installations nucléaires demandés par le gouvernement français et par la Commission de Bruxelles.

Les auteurs ont plus particulièrement passé au crible les dossiers des centrales de Gravelines (Nord), Flamanville (Manche) et Civaux (Vienne) – représentatives des différents « paliers » du parc électronucléaire (900, 1300 et 1500 mégawatts) –, ainsi que ceux de l’EPR en construction à Flamanville et de usines de retraitement de La Hague (Manche).

Un accident majeur possible. A la lumière de Fukushima, « plusieurs scénarios d’accident majeur doivent être considérés comme plausibles », estime Greenpeace. Pour les 58 réacteurs en exploitation, « un accident de fusion du cœur peut conduire à une rupture brutale de l’enceinte et/ou un percement duradier [socle en béton] », provoquant une contamination de l’air ou des eaux. Et « un accident de vidange de piscine d’entreposage [de combustibles usés] peutconduire à un feu du combustible et à des rejets très importants faute d’enceinte de confinement ».

Des faiblesses dans les évaluations de sûreté. Les évaluations menées par EDF et le renforcement de la robustesse demandé par l’ASN sont précisément destinés à prévenir ces risques. Mais, déplore Yves Marignac, « les scénarios accidentels envisagés par EDF n’envisagent pas tous les développements possibles ». D’une part, ils reposent sur « des jugements d’ingénieurset leur confiance dans la qualité de la conception des installations », et non pas sur de nouvelles études. D’autre part, ils « excluent les défaillances et agressions secondaires pouvant résulter d’un séisme, d’une inondation, ou d’une perte d’électricité ou d’eau de refroidissement ». Par exemple « une explosion d’hydrogène, un incendie, une rupture de circuit ou une chute de pièce mécanique ».

En outre, poursuit M. Marignac, les évaluations, fondées sur l’état des installations à la mi-2011, ne prennent pas en compte « le rôle que le vieillissement joue dans l’aggravation des accidents ». Pas davantage que les risques liés à des « actes de malveillance », délibérément exclus du champ des stress tests.

Des risques à réduire en amont. Pour Greeenpeace, l’approche d’EDF a le tort de se focaliser sur la gestion d’une situation de crise, « sans réduire en amont lepotentiel de danger ». A ses yeux, des recherches devraient être menées en vue de remplacer, dans les gaines de combustibles, le zirconium qui favorise le risque d’explosion d’hydrogène en cas de fusion du cœur. Des évaluations spécifiques devraient être réalisées sur « le rôle aggravant » que joue la présence de combustible MOX dans les piscines d’entreposage. Et la possibilité d’un entreposage à sec des combustibles usés devrait être étudiée, pour réduire le risque de vidange accidentelle des piscines.

Autre problème pointé, celui des enceintes de confinement. La « peau » métallique qui, sur les réacteurs de 900 MW, recouvre la paroi intérieure de l’enceinte en béton, a été remplacée, sur les réacteurs plus puissants, par une deuxième coque en béton. Or, estime M. Marignac, « l’absence de peau métallique intérieure est susceptible de les rendre plus vulnérables aux agressions internes telles qu’une explosioin d’hydrogène ».

Les fragilités de l’EPR et de La Hague. Bien que le futur EPR ait été conçu pour être plus sûr , « les mêmes risques [que ceux touchant les réacteurs en activité] ne peuvent pas être totalement écartés « , écrit Greenpeace. Rappelant les multiples« malfaçons » qui ont retardé le chantier de Flamanville, l’organisation souligne que« la démonstration de a sûreté de l’EPR n’est pas achevée », par exemple sur le dispositif de récupération de corium (cœur fondu).

Quant aux usines de retraitement de combustible de La Hague, elles sont exposées, note le rapport, à « un faible niveau de protection contre une vidange de piscine ».

Des études à approfondir. Au final, si Greenpeace juge que les évaluations de sûreté menées par EDF et Areva « constituent un bon point de départ », elle considère qu’elles doivent être prolongées par « des analyses approfondies et pluralistes ». Plus qu’un réquisitoire contre l’atome, exercice dont l’ONG écologiste est familière, cette contre-expertise veut ainsi « apporter des éléments utiles au débat français sur la sécurité nucléaire ».

Rémi Barroux et Pierre Le Hir

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