Fukushima en six leçons

Le saviez vous ? Trois jours après le tsunami japonais et les explosions des toits des réacteurs, les responsables de Tepco perdaient  le contrôle de la centrale nucléaire de Fukushima. Immergés dans les becquerels, ils battaient en brèche, exfiltraient  le personnel du sinistre et demandaient en secret au gouvernement de Tokyo… l’abandon pur et simple du site.Oui, vous avez bien lu : l’abandon. Pendant  quelques heures, Fukushima devenait  un bateau ivre radioactif. En fait , c’est bien pire. Car si le Premier ministre avait cédé face à Tepco, les combustibles des piscines privées d’eau de refroidissement se seraient enflammés et auraient déclenché un incendie libérant pendant des jours, voir des semaines, des fumées radioactives qui se seraient déversées sur le Japon tout entier au gré des vents. Imaginez l’évacuation des 30 millions d’habitants de l’agglomération de Tokyo… Guillaume Malaurie, Le Nouvel Obs vendredi, 09 mars 2012

« C’eut été plusieurs fois Tchernobyl »

 Cette hypothèse de chaos, Jacques Repussard, le patron de IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), en charge de l’analyse des risques du secteur, ne la prend nullement à la lègère. Il est grave. Et même ému quand il évoque ce cauchemar : « C’eut  été plusieurs fois Tchernobyl ».

 Une estimation qu’il réitère dans le documentaire que diffusera Canal+ le 12 mars prochain : « Catastrophes nucléaires : Histoires secrètes. » A ne pas rater.

  Ce n’est pas se laisser aller au « catastrophisme » que de reconnaître que nous sommes donc passés à deux doigts du pire du pire à Fukushima. L’opinion française a d’ailleurs ressenti en direct l’extrême fragilité de la gouvernance nucléaire d’un grand pays industriel. Une grande nation moderne qui a toujours mis en avant la sécurité de ses installations, ses doubles commandes etc.

 Du coup, l’inquiétude à l’égard des centrales françaises est passé, selon le Baromètre IRSN 2012, à 18% en 2011 contre 8% en moyenne les autres années. Soit au quatrième rang des inquiétudes devant la sécurité publique. 

 En France, le nucléaire est désormais perçu tel un risque pour 55% des personnes interrogées et seules 24% d’entre-elles accordent leur confiance aux autorités.

 Certes, 37% des Français continuent de penser que toutes les précautions sont prises, mais 33% ne sont pas convaincus. Un écart de seulement quatre points. Il était de 14 points il y a encore un an.

1° leçon : penser l’inimaginable

C’est donc la toute première leçon de Fukushima un an après.

60% des Français veulent une information transparente et garantie par le pluralisme  (pour plus de 80%) sur la sûreté des installations.

Mieux, 90% sont d’accord avec l’assertion suivante : « Les responsables des sites nucléaires doivent protéger leurs installation de tous les risques, même ceux jugés improbables ».

L’improbable, à Fukushima, c’était un tsunami, qui n’était survenu que 1.000 ans auparavant. L’improbable, en France, ce sont par exemple des risques sismiques majeurs à Triscastin ou à Fessenheim. L’improbable, c’est ce qui n’est pas imaginé,  comme le cumul d’incidents et l’impondérable d’une erreur humaine.

Bref, un sec démenti à la fameuse phrase de Marx : « L’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre ».

Non, l’humanité va devoir penser à des problèmes qu’elle n’est pas en mesure de résoudre. Des problèmes dont elle peut parfois tout juste limiter les effets quand ils sont désastreux. C’est d’ailleurs l’essentiel des nouvelles mesures de sécurité imposées par l’Autorité de sûreté nucléaire française à EDF. Penser l’aprés catastophe quand elle surgit. Et non pas seulement la prévention de la catastrophe.

Un nouveau paradygme. 

2° leçon : des Agences de sûreté  qui s’émancipent 

La seconde leçon, c’est qu’au premier rang de ces instruments d’information, de réflexion et de surveillance, les agences (Autorité de sûreté nucléaire et IRSN) doivent gagner en liberté de parole et en autonomie culturelle. La lecture du dernier rapport de l’ASN, alimenté par les travaux de l’IRSN lors des stress tests laisse entendre que des progrès substantiels  ont été réalisés. C’est une bonne nouvelle. 

3° leçon :  la  classe politique cherche toujours la  stratégie énergétique du XXIe siècle

La classe politique  française, qui n’avait pas prévu de faire face au débat énergétique lors de l’élection présidentielle, n’a pas fait sa révolution culturelle après Fukushima.  

Il lui manque une stratégie énergétique pour le XXIe siècle et elle s’aperçoit, mais trop tard, qu’elle s’est fait dicter sa  feuille de route par les industriels.

Un « choix énergétique implicite », selon le mot de la Cour des comptes. On en aura une bonne idée avec ce graphisme qui indique comment les pays qui ont fait le choix du nucléaire (IEA)  ont continué au moins jusqu’en 2008 à miser l’essentiel de leur budget public énergétique à la recherche nucléaire (70%) contre 17% pour l’efficacité énergétique et 13% pour les énergies renouvelables  (voir « Nuclear power in a post-Fukushima world « ) :

« Nuclear Power in a Post-Fukushima World ».  Fukushima,

 Certes, François Hollande promet une loi de programmation énergétique pour 2013. Mais tout indique que l’option retenue à gauche comme à droite consiste à faire vieillir tout ou partie du parc actuel comme le demande instamment EDF. Jusqu’à quand ? 50 ans ? 60 ans ? 100 ans ? Et après ?

Faire vieillir des centrales pensées dans les années 1970, même en les rénovant, c’est prendre forcément un risque au regard des référentiels de sûreté beaucoup plus exigeants adoptés notamment dans les EPR après les retours d’expérience de Three Mile Island,Tchernobyl et Fukushima.

Un risque d’accident. Mais aussi un risque de panne, car si était décelée une faille structurelle sur l’un des réacteurs, c’est tout le parc qu’il conviendrait de mettre en  berne.

Des fragilités que les partisans du nucléaire passent généralement sous silence. Voir l’argumentaire post-Fukushima de la la Société française d’énergie nucléaire, détaillé et intéressant. 

4° leçon :  les investisseurs privés doutent 

La perte de confiance dans le nucléaire n’affecte pas seulement les opinions. En témoignent les indices Standard et Poor’s concernant l’énergie renouvelable et l’énergie nucléaire. C’est d’ailleurs toute la difficulté de cette industrie, qui peine à présent à mobiliser des fonds privés de long terme. C’est l’analyse de Mycle Schneider, Antony Froggatt et Steve Thomas dans leur rapport  «  Nuclear power in a post-Fukushima world » qui conclue au crépuscule de l’ère nucléaire. 

Irsn Baromètre 2012

 

Et si l’on observe les nouvelles sources énergétiques installées (en Mgw) dans l’Union européenne entre 2000 et 2010, on verra que le nucléaire, mais aussi le charbon et le fuel, ne cessent de décroitre. D’abord au profit du gaz, puis des éoliennes et du photovoltaïque. 

les investissemtns énergutiques Ue.png

5° leçon :  gérer l’héritage nucléaire 

C’est notre destin. Même si l’on fermait toutes les centrales demain matin, il faudrait encore vivre avec des sites à démanteler et des déchets à stocker. Pendant longtemps. On ne sort jamais vraiment du nucléaire quand on y est rentré. On vit avec. 

Les opinions et les décideurs réalisent la complexité des choix à prendre, à quel point ceux d’hier nous engagent pour longtemps, voir une éternité, et prenent conscience des très faibles marges de manoeuvre possibles au vu des masses financières en jeu.  Si l’on met en avant le seul réchauffement climatique, il est assez probable, même si les écologistes le contestent, que le nucléaire est préférable aux énergies fossiles comme le charbon ou le fuel (88% de l’énergie mondiale) .

C’est l’argument cardinal d’EDF,  plus encore que le prix du kilowatt nucléaire, qui, au regard des rénovations nécessaires et du coût de l’EPR, va de toute façon augmenter et rejoindre celui des éoliennes terrestres sous peu.

Basculer vers les  énergies renouvelables dont les coûts baissent à une vitesse vertigineuse mais dont l’intermittence est un handicap ? C’est ce que fait l’Allemagne en s’appuyant pour sa transition sur le charbon, la lignite et le gaz, il est vrai moins moins émetteur de CO2. 

La Suède a pris un autre chemin, en s’appuyant sur ses centrales nucléaires pour accélérer sa conversion vers les énergies vertes. D’ici vingt ans, tout ce qui n’est pas nucléaire y sera issu de la biomasse, des barrages, des éoliennes… Y compris le carburant des voitures et des bus ! 

Le désastre de Fukushima a certainement permis – au prix lourd – de percuter les intelligences tétanisées par l’utopie de l’énergie magique sans risque, inépuisable  et pas chère – à lire également, cette note  de la CFDT  qui a toujours fait preuve  de clairvoyance sur la question énergétique. 

6° leçon :  inventorier toutes les transitions énergétiques nouvelles

Fukushima a obligé à tout repenser. A trouver des compromis. Des lignes de crête. A imaginer des transitions nouvelles vers  des mix énergétiques moins dépendants d’une seule ressource.

D’une une guerre de credo et d’intérêts, entre pro et anti nucléaire, nous devrions passer à une compétition des intelligences.

Exemple : en disette chronique de mégawatts, les Chinois continuent de construire des centrales nucléaires. Mais ils prennent le soin de ne pas rentrer dans une dépendance unique, en investissant nettement plus sur le seul … éolien industriel.

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Parce que depuis Fukushima, le risque n’est plus virtuel. Il est de plus en plus en souvent calculé. Et inventorié par les opinions publiques et les investisseurs privés.

Rien que pour Tepco, c’est 100 milliards de dollars qui sont partis en fumée radioactive. L’énergéticien mondial est aujourd’hui à genoux. Pour éviter l’inévitable banqueroute, une nationalisation est probable. Nationalisation des pertes, des déchets et d’un bon siècle d’indemnisations en tous genre. Un soleil couchant au pays du soleil levant qui doit refonder toute son assise énergétique. 

 Guillaume Malaurie 

 

 

 

 

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