Les experts réunis au siège de l’Autorité de sûreté nucléaire devraient rendre un avis positif sur la cuve du réacteur à l’acier défectueux. Mais son couvercle devra être changé après quelques années. LE MONDE Par Jean-Michel Bezat
Un groupe d’experts réuni au siège de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a entamé, lundi 26 juin, une réunion de deux jours à l’issue de laquelle il donnera un avis sur l’état de la cuve de l’EPR de Flamanville (Manche). En avril 2015, cette autorité indépendante avait révélé que des anomalies – qualifiées de « très sérieuses » par son président, Pierre-Franck Chevet – avaient été découvertes dans l’acier de cette chaudière où se produit la réaction nucléaire.
A la fin 2016, Areva et EDF ont remis un dossier sur cette cuve, un élément de 420 tonnes forgé dans l’usine Areva de Creusot Forge (Saône-et-Loire) en 2006-2007. Pour le fabricant de ce composant et son futur exploitant, elle a passé quelque 2 000 tests et contrôles avec succès, en présence d’ingénieurs de l’ASN.
Ces tests devaient permettre de s’assurer que, malgré la trop forte concentration en carbone de son fond et de son couvercle, la cuve de ce réacteur nucléaire à eau pressurisée de troisième génération, qui sera exploité pendant au moins soixante ans, est capable de résister aux chocs thermiques et aux fortes pressions, y compris à des situations accidentelles.
Si la cuve en elle-même est jugée apte au service, son couvercle devra être changé quelques années après le début de l’exploitation, prévu à la fin de 2018. « L’utilisation du couvercle actuel de la cuve de l’EPR ne saurait être envisagée au-delà de quelques années de fonctionnement sans que les contrôles nécessaires au renforcement du deuxième niveau de défense en profondeur n’aient été mis en œuvre », note le rapport de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), bras armé de l’ASN, révélé par l’agence de presse Reuters.
Des conditions strictes
Il juge que « son aptitude au service n’est pas acquise de manière pérenne en l’absence de contrôles en service suffisants ». Il ajoute que « le dossier technique transmis par Areva NP et EDF sur les contrôles de suivi en service est très succinct et qu’il n’apporte aucun élément technique sur la faisabilité des contrôles, leur performance et les conditions d’intervention en termes de radioprotection ».
Selon le document, EDF s’est engagé à analyser fin 2025 les conclusions d’études de faisabilité technique de nouveaux procédés de contrôle de la résistance du couvercle. En cas de conclusions négatives sur sa tenue du couvercle, l’exploitant s’engage à le remplacer lors de la première visite décennale, qui interviendrait en 2028.
C’est la partie la plus sensible de la cuve en raison des orifices permettant d’introduire les barres de contrôle de la réaction neutronique. Pour l’ASN, de nombreux couvercles de cuves de réacteurs ont été remplacés par le passé. Mais il faut plusieurs années pour le fabriquer.
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Si l’ASN donne son feu vert provisoire, il sera formalisé dans un « projet de position » soumis à une « consultation du public » jusqu’en septembre. L’autorité indépendante rendra un verdict définitif au début de l’automne.
Une surveillance accrue de la cuve
Il est acquis, en tout cas, qu’elles demanderont une surveillance accrue de la cuve. Voire, au début, une exploitation à puissance réduite par rapport aux capacités du réacteur, ce qui ferait perdre de son intérêt au réacteur économique le plus puissant du monde avec ses 1 650 mégawatts (MW).
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Mais la décision réglementaire (et non plus technique) autorisant la mise en service de cette pièce maîtresse de l’îlot nucléaire de la centrale n’interviendra pas avant la fin de 2017 ou le début de 2018, une fois achevée la mise sous pression hydraulique du circuit primaire permettant de vérifier son étanchéité.
Le contrôle de la cuve (et de tout le circuit primaire) est impératif. Après les gaines de zirconium renfermant les pastilles d’uranium enrichi et plongées dans la cuve, cette dernière est en effet la deuxième barrière de sûreté contre la radioactivité en cas d’accident, la troisième étant constituée par la double enceinte de béton armé du bâtiment abritant le réacteur EPR.
Plusieurs années de retard
Les dirigeants d’EDF avaient reconnu qu’ils n’avaient « pas de plan B », persuadés que cette cuve passerait les tests avec succès. En cas de refus de l’ASN, EDF aurait dû la démonter, puisqu’elle a été introduite dans le bâtiment réacteur début 2014 et que les raccordements aux quatre générateurs de vapeur, à l’aide de soudages complexes, ont été effectués au cours des trois dernières années. Le chantier aurait été retardé de plus d’un an, entraînant une nouvelle dérive des coûts.
EDF affirme que l’EPR de Flamanville démarrera fin 2018 – avec six ans de retard et une multiplication par trois du devis initial (pour atteindre 10,5 milliards d’euros). L’approbation de la cuve par l’ASN fait partie des conditions mises par la Commission européenne pour autoriser le rachat d’Areva NP, fabricant des réacteurs, par EDF. La recapitalisation d’Areva (5 milliards d’euros) prévue cette année est elle aussi soumise au préalable d’un feu vert sur la cuve.
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Dans une pétition signée par près de 35 000 personnes, le réseau Sortir du nucléaire demande à l’ASN de ne pas homologuer la cuve. Selon une de ses responsables, Charlotte Mijeon, « ce serait scandaleux de faire primer les avantages à court terme des industriels sur les principes de sûreté de base et donc sur la sécurité de la population ».
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