C’est à se demander si l’EPR n’est pas victime d’une véritable malédiction. Ou, plus prosaïquement, si EDF a bien maîtrisé son sujet en lançant le chantier de ce réacteur à eau pressurisée de nouvelle génération, il y a plus de dix ans, sur la centrale nucléaire de Flamanville (Manche). Onze ans après le début des travaux, l’électricien a annoncé ce mardi la découverte d’un autre problème de taille susceptible d’entraîner un nouveau retard dans la mise en service – normalement prévue tout début 2019 – de ce qui devait être le fleuron du nucléaire français. Après la robustesse de l’acier de la cuve du réacteur, c’est la qualité de sa tuyauterie qui est cette fois en question : «EDF a détecté des écarts de qualité dans la réalisation des soudures sur les tuyauteries du circuit secondaire principal de l’EPR de Flamanville» et va devoir lancer «des contrôles additionnels sur les 150 soudures concernées», a indiqué l’entreprise dans un communiqué circonstancié.

Le groupe, qui a déclaré cet «évènement significatif» à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a eu connaissance de ce gros souci de plomberie le 21 mars, à l’occasion de «la visite complète initiale» réalisée par ses ingénieurs sur l’ensemble du réacteur. Une visite destinée à vérifier le travail de sa filiale Framatome (ex-Areva NP) et de ses sous-traitants sur l’ensemble des circuits du réacteur. A cette occasion, les équipes de contrôle d’EDF ont découvert que les soudures du circuit secondaire, qui sert à évacuer la vapeur du générateur vers la turbine électrique, n’étaient visiblement pas aux standards de qualité exigés pour ce type d’équipement sous pression nucléaire. Les soudures réalisées par l’entreprise spécialisée Nordon-Ponticelli «avaient été contrôlées par le groupement des entreprises en charge de la fabrication du circuit. Le groupement des entreprises les avait déclarées conformes», se défausse EDF.

Le fonctionnement d'un réacteur à eau pressurisée de type EPR

«Défaillance systématique»

Cette ligne de défense ne convainc pas du tout l’expert indépendant Yves Marignac, du cabinet Wise-Paris : «Cette nouvelle anomalie dans la construction de l’EPR révèle une défaillance systématique sur le poste crucial du contrôle qualité, EDF est en train de perdre une grande partie de sa crédibilité dans sa capacité à garantir les exigences de sûreté», estime ce spécialiste critique des questions nucléaires. Car le 22 février déjà, l’exploitant nucléaire avait déclaré un premier problème de qualité affectant 66 soudures sur une autre partie du même circuit secondaire principal, une affaire toujours en cours d’instruction par le gendarme du nucléaire. Et ce problème faisait lui-même suite aux «anomalies» découvertes cette fois en 2015 dans la composition de l’acier la cuve du réacteur (qui ont conduit l’ASN à demander le remplacement du couvercle de la cuve d’ici 2024)…

Le résultat est là: EDF va devoir réexaminer des centaines mètres de tuyauterie à la loupe avant de proposer «des actions correctives» à l’ASN «pour garantir les exigences de sûreté attendues»«A l’issue de l’expertise en cours […], prévue fin mai, EDF sera en mesure de préciser si le projet nécessite un ajustement de son planning et de son coût», indique le groupe, qui prépare ainsi les esprits à un nouveau report du démarrage de son EPR normand. «A ce jour, le chargement du combustible est prévu à la fin du 4e trimestre 2018 et l’objectif de coût de construction est de 10,5 milliards d’euros», indique encore le groupe, apparemment sans trop y croire. Lors d’une conférence de presse téléphonique, Xavier Ursat, le directeur exécutif d’EDF en charge de l’ingénierie et du nouveau nucléaire, s’est refusé à en dire plus : selon lui, «il serait extrêmement hasardeux d’évaluer aujourd’hui les délais nécessaires» pour régler ces problèmes de soudure.

«Retard inévitable»

Mais la perspective d’un nouveau retard dans la livraison du premier EPR français est désormais jugée «inévitable» par Yves Marignac, qui s’attend à un dérapage d’au moins six mois. Le réacteur EPR de Flamanville 3, dont la construction a commencé en 2007, devait initialement être livré en 2012. Mais après plusieurs déconvenues sur le chantier et autant d’annonces de report, EDF s’était fixé comme deadline 2019 pour une mise en service définitive. De fait, la construction est aujourd’hui achevée à Flamanville et le réacteur qui a fait ses premiers essais «à froid», devait normalement démarrer à la fin de l’année pour un raccordement au réseau en janvier prochain. Mais «ce calendrier semble désormais totalement caduc», estime Yves Marignac.

Durant les semaines à venir, EDF va en effet devoir inspecter minutieusement chacune des 150 soudures en cause avec des moyens techniques spéciaux (radiographie, contrôles par ultrasons…) «pour analyser les causes et la nature» des «écarts de qualité». Il lui faudra ensuite proposer un plan de marche à l’ASN pour corriger tous les défauts constatés : en clair refaire les soudures. Or on n’est pas dans la petite plomberie de cuisine : «Une soudure sur le circuit secondaire nécessite cent tours, soit six à huit semaines de travail, mais là comme il s’agira de corrections, il ne faudra compter que deux à trois semaines»,assure-t-on chez l’électricien. On imagine le travail s’il faut reprendre 150 soudures sous le contrôle minutieux du gendarme du nucléaire…

Mauvaise pub

Cette nouvelle déconvenue ne manquera d’alimenter les lazzi des antis et l’inquiétude des clients potentiels sur la capacité d’EDF à construire ce fameux EPR dans des délais raisonnables et à un coût acceptable. La facture de Flamanville a déjà triplé à 10,5 milliards d’euros. Et Areva, récemment rebaptisé Orano, qui tente de terminer la construction d’un autre réacteur EPR à Olkiluoto, en Finlande, a explosé lui aussi les délais et les coûts à plus de 10 milliards. Tout cela fait une bien mauvaise publicité à cette «équipe de France du nucléaire» qui tente aujourd’hui d’obtenir à tout prix la construction d’une nouvelle paire de réacteurs EPR dans l’Hexagone, et d’exporter six réacteurs de ce type en Inde, après en avoir vendu deux exemplaires au Royaume-Uni. A ce jour, aucun réacteur de ce type n’est entré en service dans le monde. Mais au grand soulagement d’EDF, les deux premiers EPR chinois construits par le géant CGN avec le concours du français devraient démarrer d’ici la fin de l’année sur le site de Taishan, dans le sud-est du pays.

Jean-Christophe Féraud