Nicolas Hulot a quitté son poste en déplorant la faiblesse des moyens engagés pour l’écologie, mais la sauvegarde de l’environnement exige des avancées technologiques et politiques qui ne se décrètent pas, estime Marc Fontecave, professeur au Collège de France, dans une tribune au « Monde ». LE MONDE Par Marc Fontecave (Professeur au Collège de France)
La preuve est faite à nouveau. Un militant « vert » ne peut pas être ministre de l’écologie. Tout simplement parce que l’idéologie environnementale sur laquelle est construit son engagement s’accommode difficilement des contraintes non seulement économiques, politiques et sociales, mais également scientifiques et technologiques dans lesquelles le monde réel peut effectivement évoluer. Cette idéologie semble en effet partir de trois principes fondamentaux, à la fois profondément faux et inopérants.
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Le premier, c’est que la catastrophe, dont l’homme par essence poison pour la nature serait le seul responsable, est imminente et qu’il faut agir dans une urgence extrême pour à la fois transformer en profondeur le système économique mondial, redonner sa chance à la biodiversité et changer les modes de vie des 7 milliards d’habitants de la planète.
Le second, c’est que chacun de ces habitants serait déjà convaincu de la nécessité de ce changement, convaincu que la seule question digne d’intérêt serait celle de l’écologie, ce qui est malheureusement inexact. Le troisième, c’est que toutes les solutions technologiques appropriées, notamment pour décarboner l’énergie (remplacement des énergies fossiles et du nucléaire par les énergies renouvelables ; stockage des énergies intermittentes ; mobilité électrique ; etc..), condition supposée unique pour limiter le réchauffement climatique, seraient déjà disponibles et qu’il n’y aurait plus qu’à les exploiter.
Un bilan pas mauvais
De sorte que, si après un an ou deux en responsabilité, ce ministre « vert » ne constate que des « petits pas », comme l’a déploré Nicolas Hulot en annonçant sa démission, il ne peut en effet que désespérer, accuser son adversaire préféré, les lobbys, sans qu’on sache vraiment ce qui est lobby et ce qui ne l’est pas, et finalement démissionner. C’est dommage, mais inéluctable. Dommage parce que, contrairement à ce qu’on lit ici ou là de façon répétée, le bilan de Nicolas Hulot n’était pas mauvais.
Plutôt que de rappeler, à longueur de colonnes, les couleuvres avalées et les arbitrages perdus, on pourrait aussi mesurer l’importance, en tout cas du point de vue de l’écologie, de l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, de la fiscalité du diesel, de l’extension de la prime à la casse, du plan quinquennal de rénovation énergétique des bâtiments, de la loi programmant la fin de la production pétrolière et gazière française en 2040, sans oublier que ce ministre est Nicolas Hulot et qu’il était bon que le gouvernement de la France put intégrer une personnalité de la société civile comme lui. Mais démission inéluctable parce que les rêves butent sur la réalité.
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Cette réalité, redisons-la clairement, car il vaut mieux que le citoyen la connaisse au lieu de croire à la possibilité d’un grand soir écologique, comme de toutes parts on l’y incite. En matière de système énergétique et de comportements humains, les changements possibles ne sont pas de nature révolutionnaire. La tâche est colossale et les transformations souhaitées occuperont plusieurs générations.
L’éveil des consciences à ces enjeux énergétiques, climatiques et environnementaux, compliqué par la très grande diversité des situations économiques, sociales et culturelles de chacun, demande une pédagogie ouverte et un optimisme dans l’homme, pour l’essentiel absent des discours des représentants de cette idéologie environnementale. Le temps du progrès scientifique et technologique, celui des transitions énergétiques, est un temps long.
Urgence ou long terme
Aucune révolution technologique dans l’histoire de l’humanité ne fut le produit d’une décision politique ou d’un décret. Et celle que nous appelons de nos vœux, l’avènement des énergies renouvelables, ne sera parachevée, si elle l’est, qu’après encore de longues années de recherche fondamentale et industrielle, de développement et d’innovations technologiques et d’investissements.
En passant, je me permets de dire que c’est à cette révolution énergétique que, modestement et justement par « petits pas » successifs, j’essaye, avec mes collaborateurs au Collège de France, de contribuer en travaillant à l’élaboration de dispositifs de stockage de l’énergie solaire qui mettraient en œuvre, artificiellement et par des approches bio-inspirées, cette photosynthèse fascinante réalisée par les plantes et les micro-organismes photosynthétiques.
Enfin, malheureusement, l’impact de la France sur les dérèglements climatiques est si faible, si on le compare à celui des Etats-Unis, de la Chine et ou de l’Inde, qu’on ne cesse d’être étonné par l’importance excessive donnée aux mesures que pourraient prendre nos gouvernements seuls. La France ne compte que pour environ 1 % du CO2 produit par l’ensemble des activités humaines de la planète (il faut redire ici que cette situation particulièrement vertueuse s’explique par notre choix historique de l’énergie nucléaire et qu’une politique de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ne peut pas, comme c’est le cas aujourd’hui, être une politique antinucléaire, l’exemple de l’Allemagne illustrant clairement cette contradiction).
Si la France disparaissait complètement de la surface de la terre, les émissions globales de CO2 ne seraient en aucune façon diminuées et le problème du réchauffement climatique serait le même. En raison de cette mondialisation du problème, dont la solution nécessite une concertation et une coordination particulièrement complexes de tous les grands pays « pollueurs », il n’y a aucune chance de voir une révolution soudaine se réaliser, et un tout « petit pas » vers plus de coopération à l’échelle mondiale doit être apprécié à sa juste valeur.
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Cette question de la contrainte temporelle, urgence ou long terme, est, de mon point de vue, au cœur de nos difficultés à élaborer ensemble une véritable et raisonnable politique écologique. Tout indique au fond que, contrairement à ce que pensent tous les ministres « verts » qui se sont succédé au gouvernement et qui ont démissionné tour à tour, il n’y a en réalité qu’une seule politique, c’est celle réaliste, pragmatique et optimiste des « petits pas ». Cette somme de « petits pas » pendant des dizaines d’années constituera un « bond de géant pour l’humanité » pour reprendre ce message merveilleux de Neil Armstrong sur la Lune.
Marc Fontecave préside la Fondation du Collège de France, il est également membre de l’Académie des sciences et du Laboratoire de chimie des processus biologiques et membre du Conseil scientifique d’EDF.