Deux ans après Fukushima, Tepco croule sous les procès

L’opérateur électrique de la centrale endommagée par le tsunami est confronté à une kyrielle de demandes d’indemnisations, qui se comptent en dizaines de milliards d’euros. LIbération 31 mai 2013 Par ARNAUD VAULERIN Envoyé spécial à Tokyo et Chiba

La colère est contenue, mais pas retombée. Derrière son modeste bureau blanc, Hideto Iwasaki ne digère toujours pas d’être méprisé. Le directeur commercial de la petite coopérative agricole Nanohana, établie à Chiba (est de Tokyo), a entrepris un bras de fer juridique avec le géant Tokyo Electric Power Co. (Tepco), qui gère la centrale de Fukushima. Il exige que l’opérateur, comme il s’y était engagé, lui verse des dommages pour les pertes subies après l’accident nucléaire de mars 2011. Surtout, il espère que la justice parviendra à désigner les responsables de cette crise qui lui a fait perdre 160 de ses 11 500 membres, a miné la confiance des acheteurs et ruiné quatre décennies de partenariat avec des dizaines d’agriculteurs bio des préfectures de Chiba, d’Ibaraki et de Fukushima.

La dernière audience, en date du 10 mai, a tourné court. Les avocats de Tepco ont avancé que la baisse des ventes de la coopérative et la désaffection des clients avaient commencé avant l’accident nucléaire, exacerbant la colère des membres de Nanohana.

Rallonge. L’affaire serait anecdotique si elle n’était pas symbolique de l’étau judiciaire et financier qui enserre Tepco, chaque jour confronté à de nouvelles demandes d’indemnisation. Vendredi, l’opérateur de Fukushima a d’ailleurs demandé à l’Etat une nouvelle rallonge de 600 milliards de yens (4,6 milliards d’euros) pour faire face aux réclamations colossales.

Le 21 mai, des habitants du village de Hippo, proche de la centrale, ont demandé de meilleures indemnisations. Quelques jours plus tôt, la compagnie électrique Tohoku Electric Power Co aurait exigé 20 milliards de yens de compensation. Le 11 mars, 800 citoyens japonais sommaient Tepco d’accélérer les travaux de décontamination. Et une centaine de militaires américains, venus prêter main forte aux secouristes japonais, réclament devant un tribunal de Californie 2 milliards de dollars. Ils estiment que Tepco leur a menti sur les risques encourus. La coopérative Nanohana de Chiba ne demande que 22,9 millions de yens pour couvrir ses pertes et rembourser ses tests de radioactivité. La somme est presque dérisoire au regard des quelque 2 301,7 milliards de yens que l’opérateur a déjà versés à des milliers de particuliers et de sociétés depuis 2011. Des montants en très grande partie avancés par l’Etat japonais dans un fonds de compensation créé depuis que le groupe a été nationalisé pour éviter le dépôt de bilan. Au début de l’histoire, Nanohana n’envisageait pas de poursuivre Tepco en justice. Mais c’est après le refus de l’opérateur de verser une deuxième tranche des compensations que l’affaire a démarré. «Il y a un an, ils nous ont dit que nos tests de contamination n’étaient plus nécessaires, se souvient Hideto Iwasaki, et que nous n’avions qu’à aller nous approvisionner dans des régions plus sûres, comme dans l’ouest du pays. Pour nous, c’était à la fois hypocrite, méprisant et inacceptable. Mais Tepco a fait l’erreur de nous sous-estimer.» La direction de la coopérative avance que la compagnie électrique a fait marche arrière, redoutant un effet domino avec des démarches entreprises par au moins quatre autres coopératives et une «multiplication de procès qui deviendrait alors incontrôlable». Tepco, que Libération a rencontré, n’a pas souhaité commenter ce volet judiciaire, se limitant à répondre avec beaucoup d’embarras qu’elle «prenait chaque cas très au sérieux». L’opérateur dit avoir reçu «80 dossiers de plainte parmi lesquels 30 ont été réglés ou rejetés».

Risques. Ce qui est en jeu dans cette affaire et ce «désastre créé par l’homme», selon les termes sans ambiguïté d’un rapport indépendant japonais, est la question cruciale de la responsabilité. Elle est posée par des centaines de personnes qui attaquent Tepco. Yui Kimura est l’une d’elles. Cette employée d’une compagnie d’assurance détonne dans son kimono au milieu des salarymen de la gare de Tokyo. Calme et tenace, cette femme de 60 ans, qui s’affiche en militante antinucléaire depuis l’accident de Tchernobyl en 1986, a rejoint un collectif de 42 actionnaires de Tepco en mars 2012. Ils poursuivent la compagnie dans ce qui reste à ce jour le plus gros procès : 27 dirigeants de l’opérateur se retrouvent devant la cour de Tokyo pour avoir sous-estimé les risques de tsunami et les préparatifs pour pallier un grave accident. Ces actionnaires réclament la bagatelle de 5 500 milliards de yens. «Les dirigeants doivent prendre leurs responsabilités, insiste Yui Kimura qui, en 1989, a acheté 100 actions du groupe qui ne valent plus rien aujourd’hui. Ça n’a pas d’importance. L’essentiel est de venir en aide aux victimes et d’obliger Tepco à dire la vérité.» A en croire Yui Kimura, ce procès capital pour l’avenir de Tepco pourrait encore durer deux ans. Presque une éternité pour l’opérateur qui cumule des pertes gigantesques depuis la catastrophe du 11 mars.

 

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