Alors que s’ouvre ce mercredi un débat sur l’avenir des déchets nucléaires, le physicien Bernard Laponche plaide pour ne pas se lancer dans des modes de stockage souterrain, comme programmé à Bure. Par Coralie Schaub — Libération 16 avril 2019 à 18:46
Lancé ce mercredi, le débat public sur le cinquième Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) se tiendra jusqu’à fin septembre. Selon l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), la France comptait 1,62 million de mètres cubes de déchets radioactifs fin 2017, issus à près de 60 % de l’industrie électronucléaire. Qu’en faire ? Entretien avec Bernard Laponche, physicien nucléaire, ancien du Commissariat à l’énergie atomique et cofondateur de l’association Global Chance.
Qu’attendre de ce débat ?
Global Chance et les autres ONG ont obtenu que soient mis sur la table certains grands sujets : que faire avec le combustible nucléaire irradié issu des réacteurs ? Faut-il le retraiter ? Comment entreposer les déchets ? Cela n’avait jamais été discuté. Mais ensuite, qu’en fera le gouvernement ? Le nucléaire connaît une crise inédite, technique et financière. Il est nécessaire de se demander si on s’entête avec une stratégie fixée dans les années 60 et qui risque de nous mener dans le mur, avec des réacteurs vieillissants et des déchets qui s’amoncellent.
Que pensez-vous du stockage géologique profond prévu à partir de 2035 avec le projet Cigéo, à Bure (Meuse) ?
D’abord, cela ne concerne qu’une partie des déchets, les plus radioactifs, or il y en a beaucoup d’autres (moyenne activité, faible activité…) qui s’accumulent un peu partout. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il n’y a pas de solution satisfaisante. On nous dit que celle-ci est la moins mauvaise. Au contraire, c’est la plus mauvaise car elle n’est pas réversible. On ne peut pas imposer quelque chose d’irréversible aux générations futures, pendant des centaines de milliers d’années, tout en reconnaissant que la solution n’est pas satisfaisante. Imaginez qu’un seul colis radioactif enfoncé dans des alvéoles de 100 mètres de long à 500 mètres sous terre soit défaillant et fuite, on ne pourra pas le récupérer.
Quels sont les risques ?
Il y a d’abord la construction du projet et l’enfouissement des déchets, qui doit durer plus d’un siècle. N’importe quel industriel dira qu’avant de construire un projet de cette taille, surtout si c’est une première – il n’y a jamais eu d’enfouissement en profondeur de déchets radioactifs de cette importance, en particulier dans l’argile -, il faut d’abord faire un pilote industriel et le tester pendant assez longtemps, c’est-à-dire, dans le cas de ces déchets, entre cinquante et cent ans. Après tout, si Cigéo doit être là pour des millions d’années, on peut se donner un siècle pour décider. Alors que là, on se lance tête baissée dans un projet qui peut présenter des tas de problèmes. C’est d’une arrogance technique hallucinante. Par exemple, les colis de combustibles qui sont au fond des alvéoles émettent de l’hydrogène, qui peut exploser. Il faut donc une ventilation colossale, qui ne peut être interrompue qu’une dizaine de jours au maximum. Comment imaginer que sur plus d’un siècle il n’y aura pas d’interruption de la fourniture d’électricité alimentant cette ventilation, à cause d’un événement naturel ou d’une agression extérieure ? Et quid de séismes inattendus, comme récemment dans la région de Bordeaux ? Il y a aussi les risques d’incendie, d’inondations… C’est comme si on faisait Superphénix d’un coup, et en plus à 500 mètres sous terre. C’est de la folie.
Et une fois le puits rebouché, vers 2150 ?
On nous dit que cela tiendra des millions d’années. Or la roche n’est pas totalement imperméable. En Allemagne, dans l’ancienne mine de sel d’Asse, les parois s’effondrent et l’eau est contaminée. Les autorités allemandes tentent de retirer les déchets entreposés, ce qui va coûter des milliards d’euros. En France, les déchets chimiques très dangereux enfouis sur le site de Stocamine, en Alsace, menacent la plus grande nappe phréatique d’Europe depuis un incendie survenu dans les années 2000. Faut-il les récupérer ? Le gouvernement estime que ce serait trop cher. Enfin, si on fait Cigéo, je crains que cela crée un précédent pour les déchets radioactifs et chimiques dans les autres pays.
Ces déchets existent. Qu’en faire, alors ?
Les déchets radioactifs à haute activité sont aujourd’hui vitrifiés et stockés à sec, à La Hague, dans des silos ventilés. Avant d’aller à Cigéo, ils devraient de toute façon y rester au moins soixante ans pour être refroidis. Nous proposons, au terme de ces soixante ans, de les mettre dans une enveloppe en acier puis un conteneur en béton avant de les stocker en sub-surface, par exemple dans un hangar à flanc de colline protégé des agressions extérieures. Un endroit contrôlable et réversible, accessible et surveillé. On sait déjà faire ce stockage à sec pour le combustible irradié, la moitié des conteneurs utilisés aux Etats-Unis pour cela sont d’ailleurs fournis par Orano (ex-Areva). Parallèlement, on donnerait du temps aux physiciens pour proposer une solution satisfaisante. La science nucléaire a moins d’un siècle, le neutron a été découvert en 1938, il y a des découvertes en physique en permanence sur la structure du noyau, on peut bien donner 200 ou 300 ans de plus aux chercheurs pour trouver une solution.PUBLICITÉ
De quel type ?
Il y a déjà des recherches en cours et il faut mettre le paquet dessus. D’abord, la transmutation : vous séparez le corps que vous voulez éliminer, par exemple le plutonium, et le bombardez avec des neutrons afin de réduire la durée de radioactivité. On sait le faire en laboratoire mais cela pose des problèmes sur le plan industriel. Et le Nobel de physique Gérard Mourou travaille sur un projet permettant de réduire la radioactivité des déchets nucléaires grâce au laser. En tout état de cause, le coût colossal de Cigéo serait très supérieur à l’option «stockage à sec en sub-surface plus recherche». L’Andra, le porteur du projet, l’a chiffré à 35 milliards d’euros. Il est probable que cela sera bien plus.
Faut-il sortir du nucléaire, alors ?
L’énergie nucléaire existe et peut-être qu’un jour on pourra l’utiliser de façon intelligente et sans danger, mais les réacteurs actuels, y compris l’EPR, avec leur risque intrinsèque et la production de déchets, cela ne vaut pas le coup ! En plus, on dispose maintenant de techniques de production d’électricité, l’éolien et le photovoltaïque, qui deviennent beaucoup moins chers que le nucléaire. Donc pourquoi s’obstiner ?
Le nucléaire est souvent présenté comme l’une des solutions incontournables pour lutter contre le changement climatique…
D’accord, cela émet peu de CO2 par rapport aux centrales à combustibles fossiles. Mais le risque d’accident majeur est réel et cela produit des rejets et des déchets radioactifs en fonctionnement normal. Alors qu’on a bien d’autres façons de réduire les émissions de CO2 : les économies d’électricité et les énergies renouvelables. Nous avons de la marge. La Californie consomme moins d’électricité par habitant que la France, car depuis 1975 elle a mis en place des programmes d’économies d’électricité, toutes tendances politiques confondues. On pourrait parfaitement se passer de nucléaire sans faire exploser nos émissions de gaz à effet de serre. Au niveau mondial, si on arrêtait demain le nucléaire pour le remplacer par le mix électrique actuel, les émissions n’augmenteraient que de 2%.Coralie Schaub