Au Japon, la contestation de l'atome prend une ampleur inédite

Le premier ministre devrait rencontrer les opposants au nucléaire, alors que le pays doit choisir son avenir énergétique Fukushima (Japon) Philippe Mesmer Envoyé spécial Le Monde 4 08 2012

La rencontre envisagée, vendredi 3 août, entre le premier ministre japonais, Yoshihiko Noda, et les opposants au nucléaire n’a finalement pas eu lieu.  » Les préparatifs sont en cours, a déclaré M. Noda. Je pense qu’elle pourra intervenir dans un avenir proche. « 

Même si le chef du gouvernement souhaite uniquement convaincre les manifestants de la sûreté des installations nucléaires, une telle entrevue constituerait un revirement. Jusque-là, les autorités japonaises étaient peu enclines à entendre la voix de ces opposants. A un député qui l’interrogeait le 12 juillet au sujet d’une éventuelle entrevue avec eux, M. Noda avait répondu :  » Il y a régulièrement des manifestations sur différents sujets autour de ma résidence. Je ne suis jamais sorti pour rencontrer les participants. « 

Une intervention de Naoto Kan, premier ministre au moment de la catastrophe de Fukushima du 11 mars 2011 et favorable à la sortie du nucléaire, l’aurait incité à changer d’avis. L’opposition au nucléaire a pris une ampleur jamais vue depuis les années 1960-1970 : selon les sondages, deux tiers des Japonais souhaitent une sortie de l’atome.

Malgré la réticence des médias nippons à en faire état et les efforts de la police pour en minorer l’importance, ce que l’on appelle désormais la  » révolution des hortensias «  mobilise de plus en plus. L’origine du mouvement date du 12 mars 2011, quand le militant Ryota Sono a réuni une vingtaine de personnes devant le siège de la Compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco), opérateur de la centrale de Fukushima. Le mouvement s’est ensuite structuré avec l’installation, en septembre 2011, d’un campement – qui s’y trouve toujours – devant le ministère de l’économie, chargé de la politique nucléaire.

Le 29 mars 2012, la Coalition métropolitaine contre le nucléaire, qui fédère 13 organisations de lutte contre cette énergie, a organisé un rassemblement devant la résidence du premier ministre. Il se répète chaque vendredi, attirant désormais plusieurs milliers de personnes, dont des familles.

Le mouvement s’est amplifié après la décision prise le 16 juin par le gouvernement de relancer deux réacteurs nucléaires de la centrale d’Oi (département de Fukui). S’y sont joints des personnalités comme le musicien Ryuichi Sakamoto et des parlementaires comme l’ancien premier ministre Yukio Hatoyama. Ce succès s’est également traduit par la création, le 28 juillet, d’un parti écologiste, appelé Midori no To (Parti des verts).

Le 3 août, 3 000 personnes ont à nouveau appelé à l’arrêt des réacteurs d’Oi. Elles ont également demandé au gouvernement de revenir sur la nomination de Shunichi Tanaka à la tête de l’organisme de régulation du nucléaire qui remplacera en septembre l’Agence de sûreté nucléaire et industrielle (NISA). Ancien vice-président de la Commission gouvernementale de l’énergie atomique, M. Tanaka est considéré comme un membre important du  » village nucléaire « . Il aurait perçu de l’argent pour faire la promotion de l’atome au cours de l’exercice 2011, clos fin mars. Son choix a suscité des protestations au sein même du Parti démocrate du Japon (PDJ, au pouvoir).

C’est dans ce contexte que le gouvernement doit se prononcer sur la part du nucléaire dans la production d’électricité au Japon à l’horizon 2030.

Trois scénarios sont à l’étude :

  • 0 %,
  • 15 % 
  • entre 20 % et 25 %, contre 28 % avant Fukushima.

Désireux de donner une teinte démocratique à sa réflexion – même s’il refuse l’idée d’un référendum et privilégierait le scénario des 15 % -, il a mis en place un système de consultation sur Internet ou au travers de réunions publiques.

La dernière a eu lieu le 1er août, dans la ville de Fukushima. Dans une ambiance chargée d’émotion et, parfois, de tension, 30 intervenants ont pu s’exprimer devant le ministre en charge de la crise nucléaire, Goshi Hosono. Parmi eux, des agriculteurs, des étudiants, des femmes au foyer ou des salariés d’entreprises. Certains avaient dû évacuer la zone contaminée. Tous se sont dits favorables à l’abandon du nucléaire.

Déplorant  » l’absence de responsabilité «  des dirigeants de Tepco ou du gouvernement, ils ont évoqué leur nouvelle vie dans les logements provisoires ou dans des villes où il n’y a presque plus d’enfants.  » Certains affirment que l’accident de Fukushima n’a tué personne, a déploré un participant. Ils ne pensent pas aux personnes âgées qui se sont suicidées ou sont décédées après avoir dû quitter leur maison ? « 

Le sentiment d’être abandonnés est partagé par beaucoup dans le département de Fukushima.  » Depuis plusieurs mois, rien ne bouge, regrette un officiel de Minamisoma, ville en partie évacuée, à 25 km de la centrale. Le gouvernement donne l’impression d’agir comme s’il voulait faire croire que la catastrophe de Fukushima appartient déjà au passé. « 

Philippe Mesmer

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