A Fukushima, état d'urgence pour le réacteur 4

Un arrêt du refroidissement des barres de combustible stockées dans la piscine provoquerait un accident majeur. Le Monde 8 juin 2012 Tokyo Correspondance Philippe Mesmer

Malgré la volonté du gouvernement japonais et celle de la Compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco) de la minimiser, la gravité de la situation à la centrale nucléaire de Fukushima continue de menacer l’environnement et la population. Les bâtiments des réacteurs numéros 1, 2 et 3 restent difficilement accessibles, l’état du combustible dans les réacteurs demeure incertain et les dégagements radioactifs se poursuivent.

A court terme, ce n’est pourtant pas ce qui inquiète le plus les experts. Pour eux, l’urgence se situe au niveau de la piscine du réacteur 4, remplie de 1 535 barres de combustible usagé ou non.

Perchée à une trentaine de mètres de hauteur, elle repose aujourd’hui sur une structure gravement endommagée et fragilisée par une explosion d’hydrogène survenue le 15 mars 2011, quatre jours après le séisme et le tsunami qui ont ravagé le site. Les murs et le toit ayant été soufflés, elle est visible de l’extérieur, recouverte d’une simple bâche. Beaucoup redoutent l’effondrement de ce qui reste du bâtiment en cas de nouveau puissant séisme, ou une interruption du refroidissement du combustible. Le 6 juin, Tepco a annoncé un problème au niveau d’une des deux pompes de son système de refroidissement. Résolu, l’incident a cependant rappelé la fragilité de la situation et la gravité du risque.

Une exposition à l’air de ces barres pourrait être catastrophique. Pour Robert Alvarez, ancien haut responsable du département américain de l’énergie, elle provoquerait une réaction  » impliquant une quantité de césium 137 dix fois supérieure à celle de Tchernobyl « . La difficulté d’arrêter ce processus ferait que  » toutes les substances radioactives se répandraient dans l’atmosphère « , ajoute Arnie Gundersen, de la société de consultants en énergie Fairewinds Associates.

Dans un scénario du pire établi par le gouvernement japonais, une telle catastrophe pourrait se traduire par une évacuation de la métropole de Tokyo. En visite au Japon en février et conscient du danger, Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), qualifiait déjà de  » sujet majeur «  la nécessité de  » libérer la piscine du réacteur 4 « . Et ce, le plus vite possible. Tepco, de son côté, se veut rassurante. La compagnie insiste sur le fait que  » la piscine a une profondeur de 11 m. Il y a 7 m d’eau au-dessus des barres de combustible qui mesurent 4 m. En cas d’interruption du refroidissement, il faudrait trois semaines pour que 5 m d’eau s’évaporent « .

L’entreprise estime également que les travaux de renforcement de la structure lui permettent de résister à un séisme d’intensité 6 + sur l’échelle japonaise graduée de 0 à 7. Or, le tremblement de terre de mars 2011 a provoqué des secousses de niveau 7 à la centrale. Et le 25 mai, les instances de régulation du nucléaire lui ont demandé de revoir la solidité de la paroi ouest du bâtiment, qui présente une importante déformation.

Le 26 mai, le ministre chargé du suivi de la catastrophe nucléaire, Goshi Hosono, s’est rendu au réacteur 4.  » Je ne pense pas que la situation soit instable « , a-t-il déclaré à l’issue de sa visite, tout en appelant à  » agir le plus vite possible «  pour retirer le combustible.

Vider la piscine s’annonce difficile. Tepco déblaye le site du réacteur 4 tout en installant une structure devant recouvrir le bâtiment. Puis les techniciens achemineront le matériel nécessaire – notamment une grue spéciale en cours de mise au point – pour retirer les barres de combustible. Cette procédure commencera au plus tôt en décembre 2013.  » Ensuite, nous ne savons pas combien de temps l’opération durera « , précise-t-on chez Tepco.

Avec une question : que faire des barres de combustible ? Les sites de stockage du Japon sont presque pleins et la centrale de retraitement de Rokkasho (département d’Aomori) ne fonctionne pas encore malgré dix-neuf ans de travaux et un investissement de 20 milliards de dollars (16 milliards d’euros), trois fois plus que prévu.

Dans l’attente, le combustible du réacteur 4 devrait être transféré dans la piscine commune de la centrale de Fukushima, où de la place aura été faite en retirant une partie des 6 400 barres qu’elle contient. Celles-ci devraient être placées dans des fûts à sec et entreposées dans le site de stockage de Mutsu (département d’Aomori).

Tout cela prendra beaucoup de temps, ce qui fait dire à Mitsuhei Murata, ancien diplomate et actuel dirigeant de la Société japonaise pour une éthique globale, que le problème devrait être considéré comme  » une question de sécurité nationale «  et ne devrait pas être laissé aux seules mains d’une entreprise privée dont les moyens sont forcément limités. Il y a urgence, estime-t-il, car  » les séismes n’attendent pas « .

Philippe Mesmer

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