Aucun produit en provenance du nord de Tokyo dans les cantines !
Par Laurent Mabesoone le mardi 24 janvier 2012,
Ai-je vraiment bien fait de rester au Japon ?
Après cette journée, pourtant tant attendue, du 24 janvier 2011, je me le demande plus que jamais…
Aujourd’hui, avec notre groupe de parents, il était convenu que nous soyons reçus à la préfecture par le Gouverneur de Nagano. Nous avions obtenu auprès du gouverneur en personne lors de la rencontre publique du 20 décembre dernier où nous l’avions questionné sur le problème des débris radioactifs et des cantines scolaires. Après la rencontre, le Gouverneur ABE était revenu sur sa décision d’accepter des débris radioactifs du Nord-Est. Mais le problème des cantines scolaires restait à régler.
Or, la semaine dernière, le secrétaire du Gouverneur nous a informé que M. ABE avait un autre rendez-vous important et que nous devrions nous contenter du Vice-Gouverneur et du chef de section des mesures anti-radioactivité. J’avais déjà un mauvais pressentiment [1].
Bon… devant le Vice-Gouverneur et le chef de section, j’ai quand même pris la parole, au nom de la quinzaine de parents présents.
J’ai distribué plusieurs exemplaires d’articles de Bandajevsky et de Babenko puis j’ai expliqué les risques de la contamination alimentaire chronique pour les enfants, de la façon la plus factuelle et scientifique possible. J’ai montré que même pour l’IRCP, un seul becquerel de césium 137 ingéré chaque jour donnait 200 bq en permanence dans le corps au bout de 400 jours. Que ceci faisait déjà 10 bq par kg de masse corporelle pour un enfant de 20 kg : exactement le seuil à partir duquel les maladies commencent, chez les enfants en Biélorussie.
Je sentais bien que je dérangeais : les fonctionnaires demeuraient dans un silence de mort.
Surtout quand j’ai conclu :
« À ce rythme, la plupart des enfants de l’Est du Japon seront malades ou maladifs dans 10 ans. »
Et j’ai ajouté :
« Monsieur le chef de section des mesures anti-radioactivité, je sais que la préfecture dispose actuellement de deux moniteurs de becquerels. Pouvez-vous m’indiquer de quels appareils il s’agit et quelle est leur limite de détection ? »
J’ai du reposer ma question cinq fois au moins. Bref, le « chef de section » ne connaissait même pas les caractéristiques de ses deux pauvres machines ! Le pire, c’est qu’il fuyait mes questions avec un ricanement incroyablement condescendent et moqueur…
On a finit par appeler un « fonctionnaire de base », Monsieur O., qui lui, était vraiment charmant. Ouf ! Il nous a expliqué qu’ils ne disposaient pour l’instant que d’une machine Campbell et une Seiko, avec plaque germanium sensible en dessous de 1 becquerel (20 heures de mesure). Ca ne vaut pas l’Atomes AT1320A [2] pour le rapport précision/temps de mesure, mais c’est suffisamment précis. Monsieur O. m’a confirmé que la préfecture avait passé commande de 4 machines supplémentaires (Techno Ap / NT 300B-50) mais que celles-ci avait une limite de détection de 20 bq/kg seulement. Il m’a assuré, cependant, que ces machines contrôleraient 24 ingrédients de cantines (école maternelle au collège) par jour, et que toutes les mesures autres que « Non Detected » seraient refaites par les deux machines plus précises. À la suite de cela, tous les ingrédients testés avec plus de 1 bq/kg seraient retirés définitivement des cantines. Il a reconnu que ceci ne représenterait qu’une quantité infime de tous les ingrédients utilisés dans toutes les cantines, mais que les produits venant du Nord-Est seraient testés en premier…
Nous nous sommes regardés entre parents, à la fois touchés par sa bonne volonté, mais aussi par son impuissance avouée…
Alors, j’ai distribué à tous les fonctionnaires le menu de la cantine du Lycée Français de Tokyo [3] .
Il est indiqué en caractères rouges la promesse très simple que toutes les écoles japonaises devraient faire à leurs élèves et qu’elles ne feront jamais, « pour protéger l’agriculture » :
AUCUN PRODUIT EN PROVENANCE DU NORD DE TOKYO
J’ai demandé à M. I, chef de section toujours ricanant, de mettre en place le même principe de précaution ce qui permettrait en outre d’utiliser les rares machines disponibles de façon plus efficace. Il m’a répondu, sur un ton plus moqueur que jamais :
« Il n’existe pas de procédure légale pour que la préfecture impose un choix d’aliments aux cantines des différentes communes »
Alors que M. O venait de m’expliquer que « tous les ingrédients testés avec plus de 1 bq/kg seraient retirés définitivement des cantines »…!?
Le Vice-Gouverneur a mis fin à la rencontre : « nous vous tiendrons au courant par courriel, mais nous ne pouvons pas convenir pour l’instant d’une nouvelle rencontre ». Ce qui veut dire que nous ne vous rencontrerons plus et nous ne ferons rien de plus.
Alors, j’ai parle dé mon intention d’informer la presse, j’ai même demandé à M.I si il aimait vraiment ses enfants, etc. Je vous passe le détail.
Ce pays a définitivement choisi de protéger les intérêts de l’agriculture du Nord-Est au lieu de protéger ses enfants.
Ai-je vraiment bien fait de rester au Japon ?
Il me reste maintenant à faire accepter à la directrice de l’école maternelle de notre fille que notre petiote emmène sa gamelle tous les jours et, plus difficile encore, qu’elle soit la seule à faire ainsi dans tout son établissement.
NOTES :
[1] En fait, après notre rencontre, nous avons vu sortir du bureau du Gouverneur une équipe de sportifs, des lycéens, tout heureux avec leurs médailles au cou, revenus de je-ne-sais quelle compétition : le Gouverneur avait préféré parader avec des sportifs locaux devant les cameras !
[2] machine biélorusse, déjà en rupture de stock
[3] http://www.lfjtokyo.org/secondaire/uploads/Documents/cantine/menu-2012-01.pdf