Corinne Lepage revient sur les deux dernières décisions du Conseil d’Etat relatives au DAC de Flamanville, suite à deux recours engagés par le CRILAN et d’autres associations. Elle pointe les faiblesses de ces deux arrêts.
Malgré deux arrêts fort bienveillants (c’est un euphémisme) rendus par le Conseil d’État pour valider les décisions prises par l’Etat de prolonger, de toute force, la validité de l’autorisation initiale de la centrale de Flamanville, le droit pourrait bien rattraper enfin le fait et sanctionner un fiasco technique et financier inimaginable. Corinne Lepage, sur son blog 15 avril 2019
Le Conseil d’État aurait pu, à deux reprises, mettre un terme à une situation financièrement intenable, juridiquement très contestable et techniquement dangereuse.
La première occasion lui était fournie par la prorogation pour trois ans de la durée de validité du décret du 10 avril 2007 autorisant la création de l’EPR de Flamanville.
En effet, un décret en date du 23 mars 2017 avait porté de 10 à 13 ans le délai de mise en service de la centrale. Le recours porté devant le conseil d’État contre ce décret soutenait qu’une nouvelle autorisation était nécessaire compte tenu des modifications substantielles intervenues. L’article L. 593-14 du code de l’environnement précise en effet qu’une nouvelle autorisation est requise en cas de modification substantielle d’une iNB, de ses modalités d’exploitation autorisées ou des éléments ayant conduit à son autorisation. Dans cette première décision (Conseil d’État, 28 mars 2018, req n°410782), le conseil d’État, a jugé (dans sa plus petite formation–ce qui est une anomalie pour une affaire de cette importance) que les « les changements invoqués qui seraient intervenus dans la conduite des travaux depuis l’autorisation de création de l’installation en cause s’agissant notamment du combustible qu’il est prévu d’utiliser, du coût du projet, de la demande énergétique et des conditions générales de sécurité ainsi que des anomalies découvertes dans la composition de l’acier utilisé pour certaines parties de la cuve du réacteur soient de nature à constituer une modification substantielle de l’installation. » Cette formulation appelle plus qu’à la réflexion quand on sait les malversations intervenues dans la fabrication de l’acier, les très grandes réserves de l’autorité de sûreté nucléaire, contrainte en octobre 2017 de ne pas bloquer le processus à la condition d’un changement de couvercle du réacteur en 2024, les nombreuses transformations intervenues sur un projet passé de 3 à 11 milliards, bloqué à plusieurs reprises notamment en raison des faiblesses du béton avant même que ne soit en cause le réacteur lui-même. Le Conseil d’État aurait pu a minima annuler le décret en ce qu’il ne prévoyait pas de de prescriptions particulières comme le permet l’alinéa 2 de l’article L. 593-14. Il ne l’a pas fait et a couvert cette prolongation sans condition, prenant ainsi une part de la responsabilité du fiasco inéluctable vers lequel nous allons.
Errare humanum est, perseverare diabolicum.
Une seconde décision était rendue le 11 avril 2019, au moment même où par un hasard de calendrier plein d’humour, l’IRSN et le groupement d’experts conduisaient l’autorité de sûreté nucléaire à confirmer que huit soudures situées à l’intérieur du bâtiment réacteur entre deux enceintes de confinement n’étaient pas conformes aux exigences de sûreté. Dans cette seconde décision, rendue toujours en formation minimaliste, Le conseil d’État rejetait une requête tendant à voir abroger le décret du 10 avril 2007 (Conseil d’État, 11 avril 2019, req n°413548). Dans cette deuxième affaire, dans laquelle les associations demandaient au Conseil d’État d’abroger l’autorisation donnée par le décret du 10 avril 2007 au motif que les conditions fixées par l’article L. 593-7 du code de l’environnement n’étaient plus remplies tant en ce qui concerne les capacités techniques et financières de l’exploitant qu’en ce qui concerne la protection des intérêts en cause, le conseil d’État a rejeté la requête.
Une fois de plus, il a considéré que les anomalies techniques, liées notamment à la construction du radier, à la fabrication du liner de l’enceinte de confinement, les anomalies décelées dans la composition de l’acier ne remettaient pas en cause les conditions initiales de l’autorisation. On peut sans doute considérer que chacune des anomalies pourrait être insuffisantes mais c’est le cumul des anomalies qui remet en cause l’autorisation. Le conseil d’État ne l’a pas entendu ainsi et de surcroît a considéré « que la situation financière d’EDF dont l’endettement financier net est évaluée à 33 milliards d’euros 31 décembre 2017 de caractériser par une incapacité de l’exploitant mener à bien son projet ». Et pourtant, où sont les capacités financières d’un établissement endetté à ce point si ce n’est dans la subvention de l’État laquelle est désormais bloquée par l’union européenne au titre des aides d’État. Cette situation est également à l’origine de la hausse exponentielle du prix de l’électricité à laquelle l’État ne peut plus renoncer.
Malgré ces contorsions juridiques destinées à sauver une autorisation qui aurait dû être abrogée éventuellement totalement refaite, la cavalerie est en train de rattraper le soldat EPR.
En effet, et tout d’abord la prolongation de la validité de l’autorisation n’a été faite que jusqu’en mars 2020 c’est-à-dire dans 10 mois. Si, l’État voulait une fois encore prolonger cette validité, la situation juridique serait beaucoup plus délicate que la première fois et les dispositions de la directive 2014/87 Euratom du conseil du 8 juillet 2014 pourraient empêcher ce tour de passe-passe.
De plus et surtout, la question des huit soudures non conformes dont la réparation a été exigée à l’unanimité par le groupe permanent d’experts sur les équipements sous pression nucléaire, repoussera de 2 ans au moins la mise en service de Flamanville 3. Ce délai avancé par EDF paraît très optimiste aux spécialistes du secteur. Il renvoie de toute façon en 2021 la mise en service virtuelle du réacteur EPR
Or, ces huit soudures se trouvent dans une partie difficile d’accès qui, d’après Yves Marignac, directeur de Wise Paris, ouvre une alternative aussi catastrophique pour EDF dans l’une de ses branches que dans l’autre. La première est de casser les enceintes et de sortir l’élément traversant, de refaire les soudures et de replacer cet élément. On imagine les risques, les coûts et les exigences de sûreté correspondantes. La seconde est de faire les soudures sur place ce qui est extrêmement difficile sur le plan technique et nécessite « des études des qualifications de procéder des essais sur maquette grandeur nature parce qu’il ne faudra pas que les opérateurs se loupaient détaillant les éléments irremplaçables » (Y Marignac). En toute logique, il faudrait prendre acte aujourd’hui de cette situation et arrêter les frais qui s’élèvent déjà à 11 milliards d’euros. Continuer va avoir un coût astronomique pour un réacteur qui peut-être ne démarrera jamais.
Mais, il n’y a pas de rationalité dans la gestion du nucléaire français.
Pour mettre en place une solution technique, et partant juridique, Il faut bien comprendre que ce qui est en cause est le principe même de base de l’autorisation de création à savoir des tuyauteries, qu’il s’agisse des générateurs de vapeur des turbines et de manière générale de tout l’acier qui vise « l’exclusion de rupture ». Cela signifie que les pièces ne peuvent pas rompre mais, il semblerait que les sous-traitants n’aient pas été informés de ce principe d’exclusion de rupture. En 2017, l’ASN était informée par EDF que 66 soudures ne remplissaient pas les critères de « haute qualité » et parfois même les critères standards. Pour Monsieur Charles, directeur général adjoint de l’IRSN : « le niveau de qualité n’est pas là. On n’a pas un haut niveau de confiance dans ce qui a été fait. On parle de sûreté nucléaire il n’y a pas d’autre possibilité que de tout remettre en conformité ». (Voir Reporterre 12 avril 2019).
Ainsi, dans un cas comme dans l’autre, et en appliquant la jurisprudence très bienveillante du Conseil d’État sus rappelée, l’État ne pourra faire l’économie d’une nouvelle autorisation. Il y a bien en effet une modification substantielle de l’installation du fait de la modification des conditions générales de sûreté ou a minima des modifications notables au sens de l’article L. 593-15 justifiant une nouvelle autorisation. Or, une nouvelle autorisation serait soumise aux dispositions de l’article 8 bis de la directive 2014/87/Euratom du conseil du 8 juillet 2014 sur la sécurité nucléaire qui ne permet pas la délivrance d’une autorisation pour un réacteur ne permettant pas « d’éviter les rejets radioactifs de grande ampleur qui imposerait des mesures de protection qui ne pourrait pas être limitée dans l’espace et dans le temps. »
Il va de soi que la délivrance d’une nouvelle autorisation qui serait sollicitée sur la base d’un nouveau dossier, d’une procédure d’enquête publique remettrait une mise en service, à supposer qu’elle soit possible sur le plan technique, bien au-delà de 2021. Et c’est donc tout l’édifice qui est susceptible de s’effondrer puisque le lancement de nouveaux EPR est subordonné à la mise en service de Flamanville et devrait se faire, dans l’esprit de « nos grands stratèges », dinosaures du monde énergétique aujourd’hui converti au renouvelable, en 2021 après la mise en service de Flamanville.
Quant au Flamanville britannique, Hinckley Point, qui a déjà commencé à prendre du retard en se plaçant ainsi sur les pas de son grand frère, qui est déjà menacé en cas de Brexit en raison du départ la Grande-Bretagne d’Euratom, il ne survivrait sans doute pas à un retard supplémentaire de trois ou quatre ans d’une mise en service de Flamanville, en l’état hypothétique.
Cette histoire a une morale. On peut tordre le bras du droit… On peut contourner dans un pays comme la France, car ce n’est pas vrai partout dans le monde-des dysfonctionnements techniques graves… On peut multiplier par quatre le coût d’un investissement finalement payé par le contribuable… On peut même être dans le déni d’un fiasco technologique en essayant de le faire passer pour une prouesse industrielle.
Mais le jour où la machine se bloque, où le droit ne peut plus être contourné, ou l’accumulation des faiblesses techniques ne paraissent plus pouvoir être couvertes, c’est tout le système qui explose. Il n’y a pas de demi-mesure. C’est bien cela quoi nous pourrions assister pour le plus grand malheur des contribuables français dans les années qui viennent. Mais, à tout le moins, on peut préférer un Crédit Lyonnais à la puissance X, à un accident nucléaire majeur.
Corinne LEPAGE
Avocate à la Cour
Huglo Lepage Avocats
www.huglo-lepage.com/2019/04/15/flash-actu-hla-flamanville-dun-hors-droit-a-un-hors-jeu/