Nucléaire : pourquoi Nicolas Hulot met la pression sur EDF

« La filière nucléaire nous emmène dans une dérive », a tancé jeudi le ministre de la transition écologique, encourageant également l’électricien à investir davantage dans les énergies renouvelables. Le Monde Par Rémi Barroux et Nabil Wakim

 

Dette colossale, mauvaus choix, une situation inextricable qui contribue à relancer les rumeurs sur une possible scission d’EDF en deux entités, l’une consacrée au nucléaire et l’autre qui serait centrée sur les renouvelables et la fourniture d’électricité.

« Une des raisons pour lesquelles EDF se retrouve en difficulté, c’est que, notamment, la filière nucléaire, pardon de le dire, nous emmène dans une dérive. » En quelques minutes, jeudi 21 juin au matin sur Franceinfo, Nicolas Hulot s’est livré à un réquisitoire sévère en règle contre le nucléaire… et contre la stratégie d’EDF, entreprise largement publique, dont il est le ministre de tutelle.

« Il faut que personne ne s’entête. Il n’y a pas de honte à réviser un avis quand les paramètres démontrent que parfois ce que l’on a dit ne s’est pas réalisé. On voit bien qu’économiquement il y a une espèce de règle d’or qui est en train de s’imposer dans cette filière, c’est qu’en réalité on ne tient jamais nos promesses », a-t-il lancé dans une allusion transparente à l’interminable chantier de Flamanville, en Normandie.

Le ministre de la transition écologique et solidaire a également encouragé l’électricien public à investir plus largement dans les énergies renouvelables, particulièrement le solaire et l’éolien, dont les coûts ont très fortement baissé ces dernières années. « On voit bien que le coût de l’énergie fabriquée avec du nucléaire ne cesse de monter (…), en même temps que le coût des énergies renouvelables est en train de dégringoler », a-t-il souligné.

Ces critiques n’ont rien d’anodin : Nicolas Hulot a défendu publiquement, en novembre 2017, le recul du gouvernement sur la loi de transition énergétique. L’objectif de réduire la part du nucléaire à 50 % de la production électrique en 2025 a été repoussé à une date ultérieure, autour de 2030 ou 2035.

Plusieurs dirigeants de la filière nucléaire française ont alors fait part de leur soulagement. La priorité donnée par Emmanuel Macron à la lutte contre le changement climatique avait achevé de les convaincre que le positionnement antinucléaire de Nicolas Hulot n’aurait pas d’impact immédiat sur la filière.

Or ces nouvelles déclarations interviennent alors que la France débat en ce moment de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), sa feuille de route énergétique pour les cinq prochaines années. Parmi les sujets-clés figure la trajectoire de réduction du parc nucléaire.

« Il est important que Nicolas Hulot reprenne la main »

« Nicolas Hulot a dit qu’EDF avait plus d’avenir dans la sobriété et le développement des énergies renouvelables que dans la seule énergie nucléaire », décrypte le député La République en marche (LRM) de Maine-et-Loire Matthieu Orphelin, proche du ministre. « C’est une phrase qui n’est pas polémique, elle est très positive, dans la clarté économique et écologique, c’est une phrase de vérité pour EDF », ajoute-t-il.

Dans sa contribution à ce débat sur la feuille de route énergétique, EDF a défendu publiquement l’idée de ne fermer aucune centrale avant 2029, ce qui ne permettrait pas d’arriver à 50 % de production d’électricité à partir de nucléaire avant 2040. Plus encore, le groupe demande à l’Etat de s’engager à l’horizon 2020 sur la construction d’un deuxième EPR, en plus de celui de Flamanville.

Ce réacteur de nouvelle génération est pourtant devenu l’illustration des difficultés de la filière nucléaire française. Le chantier aurait dû se terminer en 2012 et coûter 3 milliards d’euros. Il est toujours en cours et la facture a triplé, à 10,5 milliards d’euros. Pire encore, de nouveaux problèmes repérés sur des soudures importantes vont probablement obliger EDF à repousser la mise en service de plusieurs mois.

Ces dernières semaines, les associations environnementales s’étaient inquiétées du poids pris par le groupe énergétique dans le débat. Nicolas Hulot et le gouvernement étaient accusés de s’aligner sur les positions d’EDF, et de ne pas suffisamment placer la question nucléaire au centre des discussions sur la transition énergétique.

Ces nouvelles déclarations du ministre envoient donc un signal clair aux critiques du nucléaire. « Il est important que Nicolas Hulot recadre et reprenne la main, en précisant le rôle d’EDF dans ce dossier », se félicite Alix Mazounie, chargée de campagne énergies à Greenpeace. « Mais cela reste insuffisant tant que l’on n’a pas un échéancier sur la fermeture des réacteurs, leur nombre et la date de fermeture dans les cinq prochaines années. Et pour le moment, on ne sait rien », ajoute-t-elle.

Equation compliquée

Et pour cause : le gouvernement doit rendre ses propositions pour la PPE autour du 10 juillet. Et le rapport de force en interne n’est pas simple. D’un côté, Nicolas Hulot et les écologistes de la majorité souhaitent que le texte soit le plus explicite possible sur les fermetures de centrales nucléaires. De l’autre, Emmanuel Macron a publiquement fait savoir qu’il était favorable au développement des renouvelables, mais que la trajectoire de diminution du nucléaire devrait être prudente. « Si je ferme demain une centrale nucléaire, ce n’est pas vrai que je peux la remplacer par du renouvelable », disait-il ainsi en décembre.

Ce n’est pas la première fois que Nicolas Hulot tance l’électricien. En novembre, dans un entretien au Financial Times, il avait demandé à EDF de prendre ses responsabilités dans la transition énergétique. Depuis, le groupe a annoncé deux plans, l’un pour développer le solaire, l’autre le stockage de l’électricité.

Si le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, essaie tant bien que mal de répondre aux demandes du ministre, il fait face à une équation compliquée : le groupe souffre de la faiblesse des prix de l’électricité sur le marché, perd plusieurs dizaines de milliers de clients par mois et a dû gérer de nombreux arrêts non prévus de réacteurs nucléaires ces deux dernières années. Sans compter une dette colossale, qui continue de peser sur ses comptes.

Une situation inextricable qui contribue à relancer les rumeurs sur une possible scission d’EDF en deux entités, l’une consacrée au nucléaire et l’autre qui serait centrée sur les renouvelables et la fourniture d’électricité.

Jeudi, un article de l’hebdomadaire économique Challengesaffirmant que Bercy travaillait à cette hypothèse a fait bondir l’action d’EDF en Bourse, malgré les démentis des pouvoirs publics. La seule bonne nouvelle du jour pour son PDG, Jean-Bernard Lévy.

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