Drôles de drones dans le ciel nucléaire français : fini de rire

Depuis le 14 septembre, des drones ont survolé des installations nucléaires françaises à 32 reprises. Tous les services de l’Etat sont mobilisés, mais aucune piste sérieuse n’émerge. L’organisation écologiste Greenpeace s’apprête à mettre les pieds dans le plat en présentant aux députés un rapport sur les dangers de ces survols, minimisés par les opérateurs de la filière et le gouvernement. Marianne Frédéric Ploquin  23 Novembre 2014 
Greenpeace a commandé un rapport à un expert anglais dont les principales conclusions doivent être présentées aux parlementaires français le 24 novembre 2014
C’est l’enquête la plus improbable du moment : des drones non identifiés survolent à intervalles réguliers les installations nucléaires françaises depuis le 14 octobre dernier, sans qu’aucune piste sérieuse n’émerge. L’armée de l’air est sur le coup, prête à ouvrir la chasse. La gendarmerie nationale scrute le ciel, hélicoptères à portée de main. La direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) mobilise ceux que n’accapare pas la chasse aux barbus explosifs. Mais toujours aucun résultat probant à l’horizon. Un mystère dans lequel sont en train de s’engouffrer les amateurs d’ovnis et autres curiosités aériennes, mais ne rions pas : l’affaire est plus préoccupante qu’on voudrait le faire croire à l’opinion.


Les premiers temps, les sources gouvernementales nous ont parlé de « jouets », comme s’il s’agissait de gamineries. Il a cependant fallu admettre que ces drones de cour de récréation n’avaient pas l’autonomie suffisante, en termes de batterie, pour voler aussi longtemps que ceux qui ont été vus dans le ciel de nos centrales. Bien qu’aucun témoin ne se soit publiquement exprimé sur ce qu’il avait vraiment constaté, on sait que des drones de tailles différentes ont été observés, dont l’un mesurait plus de deux mètres. L’un d’eux au moins semblait équipé d’un système de prise de vue, à en juger par les flash observés. Un autre a sévi dans des conditions atmosphériques dégradées, pluie et vent à 70 km/h. Deux hélicoptères de la gendarmerie en ont suivi un pendant au moins 9 kilomètres, avant de le perdre, du côte du site de Golfech (Tarn-et-Garonne)… Du survol professionnel.

Tous les clubs amateurs d’aéromodélisme ont été passés au crible par les services de renseignement, en vain. Le fait que six vols aient été orchestrés en six endroits différents le même soir a  fait basculer bien des observateurs vers l’hypothèse d’une action concertée et organisée. L’attaque est construite, avec un point troublant : l’absence de revendication. Quel intérêt pour un groupe engagé dans un combat militant  de monter une telle opération sans la revendiquer ? Les services ne captent par ailleurs aucun signal sur les réseaux sociaux, ce qui tendrait à écarter l’hypothèse de fans de la technologie, d’habitude plus prompts à assumer leurs exploits. Même si l’idée d’un coup de pub de dernière minute ne peut être totalement exclue.

Anciens cadres d’EDF, du CEA ou d’Areva à la retraite soucieux de mettre les failles à jour ? Bande de geeks en panne de défis ? Les limiers de la DGSI échouent depuis plusieurs semaines à donner corps à la moindre piste sérieuse sur le territoire national, au point d’envisager l’hypothèse d’un ennemi extérieur, sur fond de guerre industrielle. Mais au sommet de l’Etat, on ne s’affole pas. Ni dramatiser, ni sous-estimer, telle semble être la ligne officielle, alors que l’ONG Greenpeace prend la menace très au sérieux. Parce que l’affaire dure et que personne ne s’est fait prendre, alors que la Place Beauvau a donné l’ordre de « neutraliser » les drones.

L’organisation écologiste a démenti toute implication dans ces survols, et elle sait de quoi elle parle : ses militants ont déjà eu l’occasion d’acheter des drones, en Angleterre, pour souligner la faiblesse de la carapace des installations nucléaires. Pour mieux souligner les risques liés à ces survols, le spécialiste du nucléaire à Greenpeace, Yannick Rousselet, a commandé un rapport à un expert anglais dont les principales conclusions doivent être présentées aux parlementaires français le 24 novembre 2014, dans le cadre des auditions de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Pas question de donner des idées aux amateurs d’apocalypse, mais apparemment, gouvernement, services de renseignement et opérateurs du nucléaire ne sont pas vraiment à la pointe du savoir quant aux capacités des drones nouvelle génération. Il est temps de s’y mettre !