Le projet de loi sur la transition énergétique, présenté mercredi 18 juin en conseil des ministres par Ségolène Royal, compte 80 articles qui portent sur la rénovation des bâtiments, les transports durables, le nucléaire et les énergies renouvelables. Les ONG, dans leur majorité, jugent « insuffisant » ce texte qui a fait l’objet d’intenses débats et d’âpres arbitrages tandis que les politiques sont plus partagés. Le Monde.fr Par Audrey Garric
« La loi est plutôt mal engagée, estime, auprès du Monde, Benoît Hartmann, le porte-parole de France Nature environnement (FNE), qui regroupe près de 3 000 associations. Il y a des signaux politiques forts, comme l’objectif de diviser par deux notre consommation d’énergie d’ici 2050, et une avancée démocratique : débattre de l’avenir énergétique de la France au Parlement. Mais nous craignons que ces beaux objectifs, à long terme, ne soient pas suivis de faits, puisque les moyens de court terme pour les atteindre ne sont pas au rendez-vous. » « On est en train de creuser notre dette en ne concédant pas les investissements indispensables dès aujourd’hui pour effectuer la transition énergétique », ajoute-t-il.
Sur la gouvernance du nucléaire, le point le plus sensible du texte, le porte-parole de FNE dénonce un « jeu de dupes ». Le projet de loi, s’il réaffirme l’objectif de réduire la part de l’atome dans la production d’électricité de 75 % à 50 % d’ici à 2025, n’inscrit toutefois pas dans la loi ni la fermeture de plusieurs centrales, dont celle de Fessenheim, ni la durée de vie des réacteurs (de quarante ans), une mesure pourtant demandée par les écologistes et les associations. Le « calibrage » du parc nucléaire se fera alors en accord avec l’opérateur EDF. « C’est un gros raté, s’insurge-t-il.C’est le signe d’une emprise d’EDF sur la politique menée par l’Etat qui n’est pas acceptable. »
« Ce projet de loi ne répond pas à la commande initiale de réorienter la France vers des économies d’énergie et les énergies renouvelables, déplore Morgane Créach, directrice du Réseau action climat (RAC). Il ne fixe pas d’objectif d’économies d’énergie pour 2030 mais seulement pour 2050, ce qui est trop tard pour entreprendre un changement. » L’ONG déplore également des « manques » sur les mesures concrètes de la loi, en ce qui concerne l’obligation de rénovation énergétique des bâtiments en cas de grands travaux ou les alternatives au transport routier. « Ce texte n’est pas à la hauteur pour la conférence de Paris sur le climat en 2015 : il ne nous met pas dans les clous », ajoute-t-elle.
Pour le Comité de liaison pour les énergies renouvelables (CLER),un réseau qui regroupe associations mais aussi agences locales de l’énergie, bureaux d’études et centres de recherche, le texte devrait apporter quelques avancées, notamment sur la rénovation des bâtiments et la capacité d’initiative des collectivités. « Mais il néglige la lutte contre la précarité énergétique et reste trop évasif sur le soutien aux énergies renouvelables, alors que toutes les filières vivent une période difficile », estime le réseau dans un communiqué.
Le WWF France regrette qu’il ne soit rien prévu dans le projet de loi pour financer le démantèlement des centrales nucléaires, alors que le rapport de la Cour des comptes de 2012 et celui de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les coûts de la filière du nucléaire ont montré que ces provisions étaient insuffisantes. « Il est temps que la France acquiert la maturité nécessaire pour évaluer sereinement les avantages et coûts du nucléaire. Si nous ne sortons pas de l’impasse dans laquelle nous nous sommes progressivement mis ces dernières décennies, nous ne serons pas en capacité de rentrer de plain-pied dans la révolution énergétique qui est en train de se dessiner au niveau mondial », prévient son directeur Philippe Germa, dans un communiqué.
L’écologiste Nicolas Hulot s’est, au contraire, déclaré satisfait du projet de loi, estimant qu’il s’agit d’un « beau moment d’espoir pour la France », le texte permettant d’« entrer dans l’économie de demain ». « Beaucoup de choses que nous réclamions sont dans cette loi (…) Il faut rester vigilant, exigeant, mais à ce stade, ne boudons pas notre plaisir, et soyons positifs », a appelé sur France Info l’envoyé spécial du président François Hollande pour la planète, tout rappelant la nécessité d’avoir « un calendrier pour qu’ils ne se perdent pas dans la nuit des temps ». « C’est important aussi dans le détail, voir comment on va financer tout cela », a-t-il ajouté.
Quant à la diminution de la part du nucléaire, le président de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme a estimé que « ça se fera par le force des choses, donc ce n’est pas la peine d’être crispé là-dessus, parce qu’à partir du moment où vous allez développer les énergies renouvelables et baisser notre consommation, mécaniquement, le nucléaire va baisser ».
Du côté des politiques, l’ancienne ministre de l’écologie Delphine Batho a dénoncé un « enterrement de première classe de l’engagement important pris par François Hollande concernant la diversification du bouquet énergétique et la reprise en main par l’Etat de la politique nucléaire ». « Le nucléaire est en fait la clé de voute de la politique énergétique de la France. Si on ne change rien sur le nucléaire, cela veut dire que l’on ne change rien de la politique énergétique et que les énergies renouvelables n’auront pas les moyens de se développer », attaque, dans un communiqué, la députée PS des Deux-Sèvres et ex-protégée de Ségolène Royal, désormais en conflit avec elle.
« Ce projet est à la fois ambitieux et cohérent. Un projet qui a du souffle et du pragmatisme, c’est le meilleur moyen d’être crédible », s’est de son côté félicité François Brottes, président PS de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Et d’ajouter : « La mobilisation de tous, ménages, entreprises et territoires, nous permettra de gagner la partie. »
« Pour la première fois, la France se dote d’une programmation en matière énergétique. Il y a clairement un passage à une nouvelle étape, estime quant à lui Denis Baupin, député EELV de Paris et spécialiste des questions environnementales. Après, dans le débat parlementaire, nous allons faire le maximum pour améliorer les outils afin de les rendre le plus efficace possible, que ce soit en faveur de la réhabilitation des bâtiments, des véhicules les plus sobres ou de tarifs incitatifs pour les [énergies] renouvelables. »
Lire l’entretien avec Denis Baupin : « Les écolos seront en mesure de voter le texte sur la transition énergétique »
Audrey Garric Journaliste au service Planète du Monde
Des dizaines de mesures pour conduire la transition énergétique.