AIEA: un gendarme du nucléaire bien peu indépendant

Dans les méandres de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Impuissante à réguler la circulation des matières fissiles et à régler le dossier iranien, l’Agence internationale de l’énergie atomique a deux visages : zélatrice du nucléaire civil d’un côté, gendarme du nucléaire militaire de l’autre. Elle défendra les vertus de l’atome y compris à Fukushima, où elle tiendra sa conférence ministérielle du 15 au 17 décembre. Le Monde diplomatique, par Agnès Sinaï, décembre 2012

C’est à Vienne, la capitale autrichienne, dans un paysage de ville nouvelle entre le Danube, un échangeur autoroutier et le métro aérien, qu’est sise l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Au cœur de cet ensemble monumental de 4 500 bureaux cerclé de barbelés, la dalle désertique du complexe des Nations unies accueille une conférence sur la sûreté nucléaire après la catastrophe de Fukushima (Japon) survenue en mars 2011. Des véhicules diplomatiques stationnent devant l’entrée, où des grappes de dignitaires s’engouffrent avant de plonger discrètement vers les sous-sols par des escaliers mécaniques en cascade.

A la tribune, le diplomate japonais Amano Yukiya, directeur général de l’AIEA depuis 2009, s’adresse à un parterre de délégués issus des 153 pays membres. Ministres, représentants d’agences nationales du nucléaire, industriels de l’atome et experts de la radioprotection s’inquiètent de voir la renaissance annoncée dans les années 2000 compromise par l’accident japonais. M. Amano n’en espère pas moins « une nouvelle ère », avec des critères de sûreté des centrales renforcés et globalisés. Depuis juin 2011, l’agence diffuse d’ailleurs des communiqués lénifiants sur l’évolution des six réacteurs de la centrale de Fukushima, compilations des informations transmises par le groupe électronucléaire Tokyo Elec-tric Power Company (Tepco) et l’autorité de sûreté nucléaire japonaise, la Nuclear and Industrial Safety Agency (NISA). Surveillance et promotion du nucléaire : c’est le cocktail paradoxal qui définit cette agence pas comme les autres.

L’article 2 des statuts de l’AIEA présente ses objectifs : « L’agence s’efforce de hâter et d’accroître la contribution de l’énergie atomique à la paix, la santé et la prospérité dans le monde entier. Elle s’assure, dans la mesure de ses moyens, que l’aide fournie par elle-même, ou à sa demande, ou sous sa direction ou son contrôle, n’est pas utilisée à des fins militaires. » Les portefeuilles sont répartis en fonction du poids nucléaire des pays et selon un tourniquet diplomatique. Aux origines de l’agence, le discours du président américain Dwight Eisenhower « Atomes pour la paix » prononcé devant l’Assemblée générale des Nations unies en 1953 : « Les forces destructrices les plus puissantes peuvent être transformées en une bénédiction pour l’humanité. »

Devenu le slogan de l’agence, le concept d’« atomes pour la paix » tente de masquer l’horreur de Hiroshima et de Nagasaki, et présuppose qu’usages militaire et civil de l’énergie atomique sont distincts. Seul physicien à s’être retiré du projet Manhattan (nom de code du programme de recherche qui déboucha sur la première bombe atomique) avant la destruction de Hiroshima en août 1945, le professeur Joseph Rotblat mettait pourtant en garde : « Le lien intrinsèque entre les aspects pacifique et militaire de l’énergie nucléaire, le fait qu’il est impossible de produire de l’électricité à partir d’un réacteur fonctionnant à base d’uranium sans, dans le même temps, produire le plutonium, matériau pour armements nucléaires, signifie qu’en fin de compte soit la civilisation sera détruite, soit l’énergie nucléaire, basée sur la fission, devra être abandonnée (1). »

L’AIEA est créée en 1957. Les ingénieurs de l’époque rêvent d’une électricité si abondante qu’elle serait « trop bon marché pour être comptée » (« too cheap to meter »). L’utopie de l’âge atomique confie à l’AIEA la responsabilité de garantir que toutes les nations partagent les bénéfices d’une énergie jugée vertueuse, tout en veillant au désarmement planétaire. Dotée en 2012 de 333 millions d’euros pour la totalité de ses départements, l’agence dispose d’un budget équivalent à celui de la police municipale de la capitale autrichienne pour veiller à ce que les matières fissiles ne soient pas détournées. Elle emploie 2 200 personnes, dont environ 250 inspecteurs, les contrôles ne constituant que l’un des aspects de son activité. C’est dire la faiblesse de ses moyens au regard de ses missions : s’informer de l’état des 429 réacteurs nucléaires en activité dans 31 pays et de 145 réacteurs à l’arrêt (2), et surveiller les quelque 42,2 millions de mètres cubes de déchets radioactifs, dont 388 000 mètres cubes de déchets de haute activité (3), stockés près des centrales et dans des centres de retraitement des pays nucléarisés (4).

En théorie, l’AIEA produit les normes internationales de sûreté nucléaire : protéger les personnes des risques radiologiques, prévenir les accidents, anticiper les interventions d’urgence. Mais, statutairement dépendante de ses Etats membres, elle doit bien souvent s’en tenir au plus petit dénominateur commun. Les chantres de l’atome martèlent-ils la nécessité de garantir la transparence, d’assurer l’information du public ? On n’en prie pas moins les journalistes de quitter la salle lors des débats.

 Laisser les pyromanes surveiller les départs de feu

Si l’indépendance des régulateurs chargés de contrôler la sûreté des centrales ne manque jamais d’être soulignée, il semble aller de soi que l’intrication entre contrôleur et contrôlé demeure inhérente à l’édifice de la sûreté : « Les compagnies d’énergie nucléaire et l’industrie nucléaire internationale continueront à jouer un rôle central dans la prévention et le traitement des accidents (5) », estime M. Daniel Poneman, vice-ministre américain de l’énergie.

Car, parmi les organisations des Nations unies, l’AIEA fait figure d’exception. Aucune autre ne soutient le développement d’une branche industrielle dont elle dépend à ce point. Et, bien souvent, les préoccupations liées à l’économie du nucléaire précèdent ici l’élaboration des normes qui l’encadrent, et que l’on façonne en fonction des perspectives de débouchés. D’ailleurs, seuls les Etats « les plus avancés en matière de technologie atomique » sont habilités à être membres du bureau des gouverneurs de l’agence. Parmi eux, la France dispose d’importants relais : le département de la sûreté nucléaire se trouve aux mains de M. Denis Flory, qui a succédé à M. Philippe Jamet, devenu commissaire de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) nationale ; l’association mondiale des exploitants nucléaires (World Association of Nuclear Operators, WANO) est pilotée par M. Laurent Stricker, qui a fait l’essentiel de sa carrière à Electricité de France (EDF) ; et M. André-Claude Lacoste a dirigé l’Association des régulateurs nucléaires d’Europe de l’Ouest (Western European Nuclear Regulators’ Association, Wenra), tout en exerçant à Paris ses fonctions de président de l’ASN jusqu’au 12 novembre dernier.

Pour l’ancien préfet de la région de Fukushima, M. Sato Eisaku, un tel dispositif revient à donner aux pyromanes la responsabilité de surveiller les départs de feu : « Ceux qui font la promotion du nucléaire et ceux qui le contrôlent appartiennent au même ministère, pointe-t-il. J’appelle cela l’organisme où travaillent ensemble les voleurs et les policiers. » Est-ce pour cette raison qu’en juin 2011 M. Gregory Jaczko, alors directeur de la Nuclear Regulatory Commission (NRC), l’autorité de sûreté nucléaire des Etats-Unis, annonçait à la conférence ministérielle de l’AIEA que les audits des 104 réacteurs américains n’avaient pas conclu à la nécessité de mettre à l’arrêt une seule installation — la centrale californienne de Diablo Canyon, située sur une faille sismique majeure, se voyant même décerner un satisfecit ? Ou que les tests de fiabilité (stress tests) des centrales nucléaires européennes sont confiés aux autorités nationales, représentées par la Wenra, proche de l’industrie nucléaire, plutôt qu’à un panel d’experts européens indépendants ?

Dans les faits, les normes de sûreté sont forgées sur mesure, grâce à un circuit court d’autovalidation auquel l’AIEA accorde sa bénédiction. De Tchernobyl à Fukushima, l’obsession est la même : faire apparaître les catastrophes comme liées à la situation spécifique des pays où elles se produisent, et passer sous silence les failles structurelles qu’elles révèlent. En d’autres termes : Tchernobyl ne pouvait avoir lieu que dans le bloc soviétique, et Fukushima a eu la malchance de se trouver sur la trajectoire d’un tsunami.

L’AIEA est par ailleurs liée au Groupe des fournisseurs nucléaires, sorte de club des amis de l’atome qui rassemble les 46 principaux pays pourvoyeurs de matières fissiles. Cette structure informelle, créée en 1974, fixe elle-même les conditions dans lesquelles ces pays peuvent exporter des matières et des équipements nucléaires, dans le but de réduire la prolifération. En 2008, le groupe a toutefois autorisé une exception à ses propres règles : il a permis à l’Inde d’importer de la technologie nucléaire grâce à un accord conclu entre les Etats-Unis et New Delhi, alors qu’elle n’est pas signataire du traité de non-prolifération nucléaire (TNP, lire « Le traité de non-prolifération ») et n’accepte donc pas de se soumettre complètement au système de garanties de l’AIEA. M. Mohamed El-Baradei, directeur général de l’institution à l’époque et Prix Nobel de la paix, approuve néanmoins l’initiative : « J’ai considéré cet accord comme gagnant-gagnant : bon pour le développement et bon pour le contrôle des armements. Il fournira à l’Inde l’accès à la technologie nucléaire occidentale et ses atouts en matière de sûreté — considération importante étant donné l’ambition du programme dont elle voulait se doter. Et, bien que cet accord ne fasse pas entrer le pays dans le régime du TNP, il le rapprochera du régime de non-prolifération à travers l’acceptation des garanties définies par l’AIEA pour ses installations civiles et l’engagement d’adhérer au Groupe des fournisseurs nucléaires (6). » Cet accord s’avérera surtout très lucratif pour les industriels du secteur : Areva et son réacteur pressurisé européen (EPR), Toshiba et General Electric sont sur les rangs.

L’article 4 du TNP proclame le « droit inaliénable » des peuples à développer l’énergie nucléaire civile : « Aucune disposition du présent traité ne sera interprétée comme portant atteinte au droit inaliénable de toutes les parties au traité de développer la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. » Héraut du nucléaire civil, l’AIEA se trouve donc dans une situation ambivalente, à la fois gendarme et complice involontaire de la prolifération mondiale. Selon des reconstitutions d’unités d’enrichissement effectuées par le laboratoire national d’Oak Ridge du ministère de l’énergie américain, n’importe quel pays détenteur de réacteurs nucléaires civils est susceptible de retraiter du plutonium clandestinement, en quantité suffisante pour fabriquer une arme nucléaire — hors de la surveillance de l’AIEA.

L’Iran a inauguré le 18 septembre 2011 sa première installation nucléaire civile, dont la construction à Bouchehr, entreprise en 1975, a été interrompue par la guerre avec l’Irak (1980-1988). L’agence fédérale russe Rosatom a repris les travaux, et un accord bilatéral a été signé entre les deux Etats sous contrôle de l’AIEA.

Un nouveau directeur plus proche d’Israël et des Etats-Unis

Selon un câble du 9 juillet 2009 de l’ambassade des Etats-Unis à Vienne, dévoilé par WikiLeaks et signé de M. Geoffrey Pyatt, alors représentant américain auprès de l’AIEA, l’actuel directeur général de l’agence, le Japonais Amano Yukiya, se veut plus proche des Etats-Unis et d’Israël que son prédécesseur, l’Egyptien El-Baradei, qu’il considère comme un « intermédiaire » entre l’Iran et l’AIEA, alors que lui-même se juge « impartial ». En contrepartie, M. Amano espère pour l’agence un soutien financier accru des Etats-Unis. Ces derniers mois, l’AIEA a renforcé sa communication sur les opérations dont elle suspecte l’Iran. Dans un communiqué du 22 février 2012, M. Amano exprime sa « déception » de voir l’Iran refuser aux inspecteurs de l’AIEA l’accès au site de Parchin. Cette nouvelle ligne contribue à alimenter la surenchère médiatique belliciste américaine et israélienne contre le régime iranien.

Sous la surveillance de la directrice du service de presse, qui retranscrit scrupuleusement notre entretien, nous rencontrons un expert du département des garanties, tenu à l’anonymat. Il nous explique que l’agence évolue « dans un monde de gris, où sélectionner l’information fiable est un défi face à la multiplication des données à analyser ». Au cours de la seule année 2010, le département des garanties de l’AIEA a compilé 17 000 rapports et déclarations, inventorié quelque 440 000 transactions de matériel nucléaire, analysé des centaines d’échantillons, 377 images satellites et diffusé 3 000 articles en accès libre (7).

Le détournement, en 1974, par le physicien pakistanais Abdul Qadeer Khan de la technologie de centrifugation pour l’enrichissement de l’uranium, révélé en 2004, a dévoilé l’existence d’une chaîne mondiale de complicités permettant à des pays tels que la Libye, l’Iran et la Corée du Nord de s’équiper clandestinement en centrifugeuses. Dans sa banque de données sur les matières illicites, l’AIEA a dénombré plus de 650 incidents liés à la contrebande de matières nucléaires entre 1993 et 2004.

L’évolution de la menace associée à la mondialisation des matières fissiles ne lui a pas valu une extension de son mandat, même si l’AIEA s’est dotée de nouvelles compétences et de moyens supplémentaires, comme des contrôleurs des douanes. Elle sollicite l’ouverture d’une ligne financière d’acquisition d’informations portant sur le suivi et la traçabilité du commerce international de matières fissiles. Mais la question de la souveraineté des Etats entrave l’accès des inspecteurs sur le terrain. Seul le Conseil de sécurité peut élargir le mandat de l’AIEA — ce qu’il a fait ponctuellement pour ses inspections en Iran.

Dans les étages d’une des tours en hélice du complexe viennois est installé le Comité scientifique des Nations unies sur les effets des radiations atomiques (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation, UNSCEAR), créé en 1955. Son président Wolfang Weiss explique la méthode d’évaluation du risque des radiations pour la santé. Le sievert (Sv), du nom du physicien suédois Rolf Sievert, mesure l’exposition aux rayonnements ionisants. En France, la limite réglementaire d’exposition des travailleurs (industrie nucléaire, radiologie médicale) est fixée à 20milli-sieverts par an (mSv/an) et peut être portée à 100 mSv/an en cas d’urgence.

Pour le public, cette limite est de 1 mSv/an. Or, selon M. Weiss, à moins de 200 mSv/an, il n’y a pas de risque significatif : « Nous croyons à une relation linéaire sans seuil entre le risque et la dose. 1 000 mSv/an représentent 10 % de risque de cancer. 100 mSv/an n’entraînent que 1 % de risque. Donc, sur 100 travailleurs dans la centrale de Fukushima exposés à 100 mSv/an, un seul aura un cancer. » Une arithmétique d’une sidérante simplicité.

L’UNSCEAR s’emploie à minimiser le risque à long terme de ces « faibles » doses. Dans son rapport de 2008 sur les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, le comité calculait que celle-ci avait causé 6 000 cancers de la thyroïde, dont 15 mortels. Pour M. Weiss, la mortalité par cancer n’est guère plus élevée dans les régions proches que si aucune catastrophe nucléaire ne s’y était produite. Quant aux liquidateurs (8) de Tchernobyl, l’UNSCEAR affirme que seuls 28 d’entre eux, sur 530 000, seraient décédés par irradiation aiguë.

Pour suivre à long terme les effets des radiations et élaborer des études épidémiologiques, l’UNSCEAR emploie en tout et pour tout quatre personnes, et s’adjoint des experts extérieurs. Confidentiel, ce comité a été créé à l’origine pour surveiller l’évolution de l’état de santé des cohortes de victimes des bombes de Hiroshima et de Nagasaki. « De cette irradiation extrême et aiguë, on a déduit la nocivité du millisievert, qu’on transpose à une situation d’exposition chronique. Les catégories en matière de radioprotection s’appliquent mal aux situations d’accident de centrale nucléaire, dont les effets durent », observe M. Yves Marignac, directeur de WISE-Paris.

Selon cet expert indépendant, les scientifiques de la radioprotection sous-estiment depuis cinquante ans les effets de l’exposition chronique aux radiations : « La communauté internationale aurait dû se saisir de cette question, mais elle s’est refusée à le faire, car ses orientations sont majoritairement fixées d’avance. Elle s’arc-boute pour éviter un changement de paradigme sur le risque d’exposition chronique. Or la situation sanitaire se dégrade sur tous les territoires contaminés. Quelle est la part des radiations dans cette dégradation ? La communauté scientifique porte la responsabilité de ne pas se donner les moyens de le savoir. » C’est à l’UNSCEAR qu’il revient de mener une étude sur le bilan de la radioactivité et les effets des radiations dans la région de Fukushima. Mais ses habitants devront attendre jusqu’à la livraison du rapport, en mai 2013, pour savoir à quelle dose se vouer et pour accéder à une vue d’ensemble des radiations dans les produits alimentaires.

Désinvolture dans l’évaluation des catastrophes

Vitale pour les victimes des accidents nucléaires, la radioprotection relève d’une science édulcorée par des comités dont les ramifications signalent leur proximité avec le monde industriel et les agences d’expertise officielle. La Commission internationale de protection radiologique (CIPR), fondée en 1928 pour édicter des normes, fait aujourd’hui autorité pour définir les limites de doses admissibles pour la population et pour les travailleurs du nucléaire. On y trouve des institutions scientifiques, mais aussi des membres de l’industrie comme Mme Natalia Shandala, chargée des relations publiques chez Rosatom (groupe électronucléaire russe), le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou le groupe français EDF. Inspirées de la CIPR, les normes de radioprotection adoptées par les autorités nippones s’avèrent plus laxistes que celles retenues au printemps 1986 en URSS.

L’Institut Belrad, basé à Minsk (Biélorussie), observe que les enfants biélorusses sont atteints de maladies cardio-vasculaires parce qu’ils ont ingéré des aliments contaminés à 20 becquerels par kilogramme (Bq/kg). Du nom du physicien français Henri Becquerel, cette unité représente le nombre de transformations spontanées ou de désintégrations par seconde au sein d’une matière radioactive, qui se traduit par l’émission de radiations. Au Japon, le seuil acceptable avant l’accident était d’environ 1 Bq/kg d’aliments, mais il s’est élevé à 500 fois plus au lendemain de la catastrophe, puis a rétrogradé à 100 Bq/kg au 1er avril 2012. Riz et légumes ont ainsi été initialement décrétés, pour la plupart, non contaminés : grâce à ce seuil élevé, ils circulent encore sur les marchés. Le tout avec l’approbation d’instances internationales telles que l’AIEA et l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

OMS et AIEA sont de fait liées par un accord spécial datant de 1959. Selon le collectif Independent WHO (« Pour l’indépendance de l’OMS »), cet accord explique pourquoi l’OMS a minimisé les conséquences de Tchernobyl, puis de Fukushima, et se trouve étrangement démunie sur cet enjeu de santé publique. En vingt-cinq ans, « aucun programme social et médical digne de ce nom n’a été mis en place dans les zones contaminées de Tchernobyl », et, « dans les pays nucléarisés, les études épidémiologiques sont rares, voire inexistantes » (9).

Verrouillée par la doctrine officielle, l’information sur les risques liés au nucléaire est systématiquement brouillée. Et les responsables des catastrophes atomiques demeurent impunis.

Agnès Sinaï, Journaliste, cofondatrice de l’Institut Momentum sur l’anthropocène.

(1) Joseph Rotblat, « Nuclear proliferation : Arrangements for international control », dans Nuclear Energy and Nuclear Weapon Proliferation, Stockholm International Peace Research Institute, 1979.

(2) Mycle Schneider et Antony Froggatt (en collaboration avec Julie Hazemann), « World nuclear industry status report 2012 », Paris-Londres, juillet 2012.

(3) Il s’agit de cendres d’uranium 233 et 235 et de résidus de plutonium, extrêmement radioactifs et à vie longue.

(4) « Rapport d’ensemble sur la technologie nucléaire 2011 » (PDF), AIEA, Vienne, 29 juillet 2011.

(5) Discours à la réunion ministérielle de l’AIEA, 20 juin 2011.

(6) Mohamed El-Baradei, The Age of Deception : Nuclear Diplomacy in Treacherous Times, Metropolitan Books, New York, 2011.

(7) « Annual report », AIEA, Vienne, 2010.

(8) Nom donné aux soldats, pompiers et techniciens chargés d’éteindre l’incendie de la centrale et de sécuriser le site.

(9) http://independentwho.org/fr

http://www.monde-diplomatique.fr/2012/12/SINAI/48507

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