A 12 000 km de la France, au Japon, deux ans après la catastrophe suite au tsunami, la vie tente de reprendre. Des habitants ( élus et responsables d’associations environnementales des 3 Cli du Cotentin (Manche) , riverains d’installations nucléaires, sont allés voir sur place. Pour comprendre et améliorer, si possible, l’information des Français. Ouest France envoyé spécial mercredi 24 avril 2013
Fukushima. À 250 km au nord de Tokyo, sur la côte pacifique, Minamisoma était une ville de 71 000 habitants. Très étendue et réputée dans tout le Japon pour son festival d’histoire traditionnelle. La commune est dirigée par un personnage devenu emblématique : Katsunobu Saburaï.
Devant les habitants de la Manche venus en délégation, il n’a pas de mots assez durs pour fustiger le « laxisme » des autorités gouvernementales et l’arrogance de Tepco, l’opérateur de la centrale. « Ils m’ont contacté onze jours après la catastrophe ! »
Sa colère n’est pas retombée. Il estime qu’on ne parle de Fukushima que dans les médias locaux. « Normal, la fédération des producteurs d’électricité arrose les médias nationaux depuis quarante ans. 60 milliards de yens (environ 500 millions d’euros) par an, pour “manucurer” la réalité de la catastrophe. On nous fait encore croire que l’énergie nucléaire est une énergie propre et très bien protégée. »
Dans la petite salle de la mairie, un peu vétuste avec ses guirlandes en origami, les membres des commissions locales d’information (CLI) du Cotentin écoutent Katsunobu Saburaï. Ils sont une vingtaine et tentent de comprendre.
Ces commissions rassemblent des élus, des scientifiques, des associatifs, et des syndicalistes. Tous se sont spécialisés dans le nucléaire. Tous sont avides de comprendre comment les Japonais ont géré l’accident. Ces hommes ont un projet : sortir un livre blanc qui répondra aux questions qu’ils se posent sur la sûreté des centrales nucléaires.
Les interrogations ne manquent pas. Faut-il installer des radiamètres près des installations nucléaires françaises ? Peut-on se fier à ces mesures ? Si par malheur un accident arrivait, faut-il évacuer immédiatement la population où attendre ? « Nous n’en sommes qu’au début, remarque Pierre Bihet, ( conseiller Général d’Equeudreville près de Cherbourg) le chef de la délégation qui prévoit déjà de retarder la parution du livre blanc , à septembre ou octobre. Il y a trop de choses auxquelles nous n’avions même pas songé. »
Froidement, le maire de Minamisoma égrène quelques chiffres. Avant l’accident, Minamisoma comptait 71 000 habitants. Moins de 10 000 sont restés sur place. Deux ans plus tard, la ville compte 46 000 habitants. 25 000 ne sont pas revenus. Et des quartiers entiers sont vides.
Traités en pestiférés
686 habitants ont trouvé la mort à cause du tsunami. Seul maire à faire aussi le décompte des morts suite à l’accident nucléaire, Katsunobu Saburaï évoque 406 autres morts dans sa ville. La centrale de Fukushima Daïchi n’est qu’à vingt kilomètres.
« C’était souvent des personnes âgées, déjà hospitalisées dans des maisons de retraite, et qui n’ont pas pu être évacuées. Et les plus fragiles, qui n’ont pas su s’adapter au statut de réfugié. » Être réfugié a forcément des conséquences sociales et sanitaires. « Tous les enfants sont partis. Les couples ont souvent été contraints de se séparer. Il y a des dépressions, des divorces. »
Quant aux indemnisations proposées par l’État et Tepco, elles sont forcément absurdes. « Comment comparer un bien perdu ? On ne peut pas le mesurer. C’est énorme, incalculable. » Le coût de la catastrophe est inconnu. Mais l’opérateur donne un chiffre : 17 milliards d’euros déjà versés aux réfugiés.
Comme si le malheur ne suffisait pas, les habitants de la préfecture ont le sentiment d’être traités en parias, en pestiférés. Mêmepar leurs compatriotes. Au pays des cerisiers en fleur, la jolie province de Fukushima est mise entre parenthèses. L’argent ne sert qu’à éloigner le problème. Alors pourquoi déraciner encore un peu plus ceux qui ne savent pas où aller ?
Comme partout dans les zones contaminées, des radiamètres ont été installés. Ils donnent une mesure des radiations, certes subjective, mais qui a le mérite de rassurer les populations. C’est le credo des zones sinistrées : faire en sorte que la vie puisse repartir. Une « demi-vie », en attendant que choses s’améliorent dans 30, 40, 50 ans, peu importe.
Minamisoma est pourtant divisée en trois zones : la rouge, abandonnée à jamais, l’orange, où l’on ne peut pas dormir, la verte où les radiations sont plus faibles.
Katsunobu Saburaï est fier de sa ville. Le maire voudrait qu’un jour, sa commune devienne le modèle international de la reconquête des zones contaminées. On peut vivre ici, « mais il faut déployer une énergie formidable ». Dans le canton d’à côté, Funaka, 76 000 habitants, n’en a conservé que 3000.
Et les Manchois de la CLI n’ont pas fini de se poser des questions.
Thierry DUBILLOT.