Les graves contraintes budgétaires auxquelles les armées sont confrontées relancent la réflexion sur la force de dissuasion nucléaire, dont le coût d’environ 3,5 milliards d’euros par an menace la cohérence d’ensemble de la défense française. Par La Voix Du Nord le 18/03/2013
L’arme nucléaire ou les forces conventionnelles ? Taboue depuis des décennies, la question refait surface à l’occasion des discussions sur le Livre blanc, qui doit définir les nouvelles priorités stratégiques de la France.
A son arrivée à l’Elysée, François Hollande s’est engagé à maintenir la force de dissuasion dans ses deux composantes, sous-marine et aéroportée. Mais en période de crise, les militaires s’inquiètent de son poids sur le budget de la Défense, au regard des autres dépenses d’équipement des armées.
Tout en se félicitant de la «sanctuarisation» décidée par le chef de l’Etat, le général Henri Bentégeat, ancien chef d’état-major des armées, a plaidé pour « une réflexion plus approfondie dans le cadre de la préparation de la Loi de programmation militaire », la LPM qui doit être votée courant 2013, lors de son audition mi-février au Sénat.
La dissuasion : 20% des crédits de la défense
« La dissuasion nucléaire représente aujourd’hui environ 20% des crédits d’investissement en matière de défense. Mais, dans l’éventualité d’une diminution du budget de la Défense, notamment en matière de dépenses d’investissement, cette proportion pourrait augmenter pour atteindre 25 à 30% », fait-il valoir : « Un tel poids de la dissuasion au sein de notre effort de défense est-il supportable ? Ne risque-t-il pas d’avoir un +effet d’éviction+ insupportable sur l’équipement des forces classiques ? C’est un vrai sujet ».
Et parmi les forces conventionnelles — armée de terre, marine, aviation -, les forces terrestres sont les plus menacées de coupes drastiques.
La crédibilité de la dissuasion repose sur la capacité d’un pays à agir progressivement en cas de menace : montée en puissance des forces armées, intervention terrestre ou aérienne, avant de brandir la menace nucléaire. « S’il n’y a plus que le nucléaire, on ne tirera jamais, donc ça n’a plus aucun intérêt », estime un officier supérieur pour qui, si on réduit au contraire le budget de la dissuasion, on conserve « une cohérence d’ensemble ».
Les pistes pour réduire les dépenses restent vagues : une coopération renforcée avec la Grande-Bretagne, l’abandon du principe sacro-saint de la permanence en mer d’un sous-marin équipé de missiles nucléaires, une baisse du niveau d’alerte… Et la composante aéroportée est en ligne de mire.
L’ancien ministre de la Défense Hervé Morin (UDI) prône sa suppression pour préserver les forces conventionnelles.
Deux escadrons d’avions de combat assurent en effet l’alerte nucléaire 24 heures sur 24. Une posture héritée de la Guerre froide. Mais après la chute du mur de Berlin, François Mitterrand avait déjà adapté le dispositif en engageant en 1992 le démantèlement progressif de la composante terrestre, les missiles nucléaires déployés sur le plateau d’Albion.
Dans son dernier livre, « Arrêter la bombe! » (Editions du Cherche Midi), le socialiste Paul Quilès relève pour sa part « d’importants dérapages financiers dans plusieurs programmes majeurs de la dissuasion nucléaire » au cours des 30 dernières années. Pour cet autre ex-ministre de la Défense (1985-86), partisan du désarmement nucléaire, « une réflexion s’impose » notamment « sur l’utilité de la composante aérienne ».
Interrogé sur les déclarations d’Hervé Morin, le général Bentégeat défend au contraire la composante aéroportée. « Je dirais qu’il est nécessaire de la garder, car les missiles balistiques sont moins précis que les missiles aéroportés, tels que l’ASMP/A. Or, la précision est nécessaire pour dissuader au bon niveau une puissance régionale qui s’en prendrait à nos intérêts », a-t-il fait valoir devant les sénateurs.
Sauf à renier l’un de ses principaux engagements en matière de défense, François Hollande devrait maintenir les deux composantes de la dissuasion. Mais conserver le dispositif actuel ne signifie pas qu’il ne sera pas à terme conduit à l’adapter.
AFP