EPR de Flamanville : une décennie de péripéties politico-industrielles

EDF a annoncé, lundi 3 décembre, que la construction de la centrale nucléaire nouvelle génération de Flamanville, dans la Manche, allait coûter encore plus cher que prévu. Ce n’est que la dernière déconvenue d’une longue série de retards, de surcoûts liés à un chantier d’une complexité redoutable et de mouvements parfois contradictoires de la classe politique sur cette centrale de troisième génération. Le Monde.fr  05.12.2012  Par Jonathan Parienté

DelaisCoutsFlamanville

2004. Un débat fourre-tout à l’Assemblée

Le parc nucléaire français est vieillissant ; les industriels de l’atome ont depuis une dizaine d’années dans leurs cartons un projet de centrale de troisième génération, l’EPR (réacteur pressurisé européen). La construction d’un EPR – envisagée lorsque Lionel Jospin était premier ministre – sera actée à la faveur du vote d’une loi d’orientation sur l’énergie, en 2004.

Lors des débats à l’Assemblée, la classe politique se divise selon des modalités assez classiques qui augureront de son comportement futur quant à l’EPR en particulier et au nucléaire en général.

La droite défend le texte au nom de l’indépendance énergétique, de l’emploi et de la possible exportation d’électricité. Les Verts y sont radicalement opposés et plaident pour une révolution en matière d’énergies renouvelables. Les communistes jugent « impossible d’envisager l’abandon du nucléaire », comme le disait alors le député André Gerin, exhortant toutefois le gouvernement à « engager un effort financier équivalent pour les énergies nouvelles ». Ils voteront contre le texte.

Quant aux socialistes, leur position est complexe. Favorables, dans l’absolu, au nucléaire, ils auraient préféré que l’Etat concentre ses investissements sur les réacteurs de quatrième génération. Lors de ce débat, ils déclarent que « le projet de loi d’orientation sur l’énergie méritait assurément mieux qu’un débat à la hussarde en une semaine », dans la mesure où il « engage notre pays en matière de politique énergétique pour les trente années à venir ». Ils ont donc voté contre, mais le manque d’unité du groupe sur le texte n’échappera pas au ministre de l’économie de l’époque, un certain Nicolas Sarkozy.

Symbole de ce manque d’unité, les élus socialistes de la Drôme ont fait des pieds et des mains pour que le futur EPR soit implanté près de la centrale du Tricastin. En vain puisqu’en en octobre, c’est le site de Flamanville qui est choisi.

2005. Débat sur les débats

Les 23 réunions organisées par la commission du débat public – obligatoire depuis 1995 – sur l’EPR de Flamanville sont critiquées par les Verts et par les associations écologistes. En cause : le refus des autorités de verser au dossier de ces commissions des documents concernant les conséquences de la chute d’un avion civil sur les infrastructures nucléaires… Plus largement, les opposants au projet déplorent que les maîtres d’œuvre du projet ne diffusent pas toutes les études, sous couvert de « confidentiel défense ».

Alors que la contestation s’organise en France, EDF signe un accord stratégique avec l’Italien Enel, qui entre dans le projet de Flamanville à hauteur de 12,5 %. La France espère alors construire des centrales en Italie, laquelle envisage un retour à l’atome, vingt ans après y avoir renoncé.

2006-2007. Revirement socialiste pendant la campagne présidentielle

En France, la possible alternance en 2007 donne des ailes aux opposants, qui espèrent qu’une nouvelle majorité pourra défaire ce qu’a fait la précédente. Mais le dossier de l’EPR serait un caillou de taille dans la chaussure des socialistes s’ils étaient parvenus au pouvoir. La position officielle du PS est claire : « L’EPR est inutile et dangereux », dixit Julien Dray, alors porte-parole du parti. Ce qui n’est pas précisément la position des socialistes locaux, dont le maire de Cherbourg, Bernard Cazeneuve, qui plaide pour la construction du réacteur.

Quant à la candidate socialiste à la présidentielle, Ségolène Royal, sa position est floue, alors que son parti subit les pressions conjointes des Verts et de Jean-Pierre Chevènement, rallié à la socialiste, mais défenseur du nucléaire.

Alors qu’elle s’y opposait – à l’instar du parti –, son porte-parole, l’actuel ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, annonce que Mme Royal n’arrêtera pas le projet au nom de la « continuité » et de la lutte contre les émissions de CO2. Et ce avant qu’elle ne réitère publiquement son opposition, puis qu’elle plaide pour un moratoire sur la construction de nouvelles centrales.

Dix jours avant le premier tour de scrutin, le gouvernement signe en catimini le décret autorisant la construction, après que le juge des référés a rejeté les recours formés par plusieurs associations, dont Greenpeace et la Confédération paysanne de José Bové.

2008. Premières malfaçons, premiers surcoûts

Alors qu’un second EPR est évoqué par Nicolas Sarkozy, les premiers problèmes liés au béton apparaissent. Le chantier est arrêté et l’on s’inquiète de voir le chantier français prendre le même chemin que celui mené en Finlande : retards et surcoûts.

La fin de l’année 2008 confirmera ces craintes. EDF parlait alors d’un « léger retard » et d’un surcoût de 20 %, faisant passer la note de 3,3 à 4 milliards d’euros.

2009. L’EPR, un échec à l’export

C’est un contrat de plus de 20 milliards d’euros qui échappe aux Français à Abou Dhabi en cette fin d’année 2009. Malgré un pilotage en très haut lieu, le dossier n’a pas convaincu l’émirat, qui a préféré les réacteurs de deuxième génération des Sud-Coréens. La raison essentielle ? Le coût du fleuron du nucléaire français, dont seulement quatre exemplaires sont en construction – un à Flamanville, un en Finlande et deux autres en Chine.

Ce cuisant échec porte un coup certain à la stratégie française d’exportation de l’EPR. Le tout sur fond de rivalité entre Anne Lauvergeon, directrice d’Areva, Henri Proglio, à la tête d’EDF et Christophe de Margerie, PDG de Total, qui est entré dans la danse nucléaire. Au point qu’il est envisagé de proposer d’autres modèles, moins coûteux, afin de séduire les pays émergents.

2011. Fukushima

Pour les uns, la catastrophe nucléaire de Fukushima valide la nécessité de construire des EPR, un réacteur vanté comme « le plus sûr jamais construit » ; pour les autres, en revanche, ce drame sonne le glas d’une énergie dangereuse et de plus en plus chère.

« Si la question d’un moratoire se pose [en France], et nous nous la posons, ce sera sur la construction de Flamanville 3 », lance alors André-Claude Lacoste, président de l’Autorité de sûreté nucléaire. Est-ce le signe qu’un débat politique sur le nucléaire est enfin possible en France ? Non, assure Nicolas Sarkozy depuis le Japon :

La France a « pris des engagements de réduction des gaz à effet de serre. Pour les remplir, il n’y a pas cent cinquante solutions, il y a le nucléaire. (…) Le problème est un problème de normes de sûreté plus que de choix de l’énergie nucléaire, pour laquelle il n’y a pas d’alternative à l’heure actuelle. »

Lors de la campagne pour la primaire socialiste, seule Ségolène Royal plaide ouvertement pour un arrêt de la construction de l’EPR. « Il n’y a pas beaucoup de candidats qui le disent, parce qu’évidemment, il y a des enjeux électoraux dans le département de la Manche. Je suis la seule à être claire et nette sur Flamanville », assure-t-elle dans un entretien à Libération.

2012. Hollande veut poursuivre la construction

L’accord de gouvernement conclu à grand-peine entre Europe Ecologie-Les Verts et le Parti socialiste prévoit une réduction de la part du nucléaire en France à 50 % à l’horizon 2025. Reste le cas de Flamanville, que François Hollande candidat ne veut pas abandonner, au nom des investissements colossaux qui ont déjà été faits. Il s’engage parallèlement à fermer la centrale de Fessenheim, la première qui ait été construite en France.

Jonathan Parienté

1 Commentaire

  1. Fessenheim n’est pas la première centrale nucléaire construite en France, mais la plus ancienne en activité : depuis début 1978, soit 35 ans alors que les réacteurs ont été conçus pour une durée de vie de 30 ans.

    Le coût de l’électricité qui sera produite par l’EPR n’a cessé d’augmenter au fil des ans :
    http://energeia.voila.net/electri/cout_electri.htm

    Encore évalué à 81 €/MWh en juillet 2011, avec une construction à six milliards d’euros, il se situe maintenant entre 105 et 110 €/MWh avec la nouvelle augmentation.

    La comparaison, dans le document cité, avec le coût de l’éolien et avec celui des installations récentes en photovoltaïque est des plus instructives.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.