«Quand j’ai annoncé que je voulais faire un film sur l’accident de Fukushima, tout le monde s’est défilé. J’ai alors compris que le vrai sujet tabou au Japon n’était ni le sexe ni la violence, mais le nucléaire… » Ainsi parle Sono Sion, grand cinéaste nippon dont le dernier film, « The Land of Hope », évoque la tragédie de Fukushima sans velléité de reconstitution mais à travers une fiction d’autant plus éclairante qu’elle est d’une beauté à couper le souffle. SOPHIE AVON Sudouest 21 avril 1013

Izumi (Megumi Kagurazaka) doit penser à protéger son enfant à naître. (Photo dr)
Dans une région imaginaire baptisée Nagashima (contraction de « Nagasaki », « Hiroshima » et « Fukushima »), où la vie est étroitement liée à la culture des champs, vivent les familles Ono et Susuki. Une nuit, un tremblement de terre réveille tout le monde en sursaut, suivi peu après de l’explosion de la centrale nucléaire édifiée à proximité. Des hommes en combinaison débarquent alors au village et le coupent en deux, installant une ligne de démarcation dont la fragilité même accentue l’absurdité du partage. D’un côté, l’air serait respirable, de l’autre, il serait radioactif.
Une angoisse refoulée
Les villageois se plient néanmoins aux ordres des autorités. Les uns sont contraints d’évacuer tandis que les autres peuvent rester. La famille Ono est autorisée à rester mais le vieux père, dont l’épouse perd la mémoire, pousse son fils et sa belle-fille enceinte à partir. En larmes, les enfants plient bagage, laissant père et mère dans le village déserté.
À partir de là, le film se partage lui aussi, suivant à tour de rôle ceux qui partent et ceux qui demeurent. L’évacuation des premiers se fait dans une déambulation résignée, bientôt abstraite, où de camp en camp les réfugiés tâchent de s’en sortir en bon ordre apparent. Cette docilité martiale est l’envers de ce qui travaille tout le récit – et tout le pays : la vulnérabilité d’un peuple incapable de se protéger contre son pire ennemi. C’est une angoisse d’autant plus forte qu’elle est refoulée par la nature même de la société japonaise, ce qui ne l’empêche pas d’affecter les individus, à commencer par la jeune femme, dont le corps est censé garantir l’intégrité de l’enfant à naître.
Et puis, à l’autre bout du récit, se tiennent les vieux parents, qui ont choisi de rester. Entre le mari qui assiste au naufrage de celle qu’il aime et l’épouse dont la mémoire s’efface, Sono Sion déploie ce que son histoire a de plus bouleversant : l’amour perdurant par-delà la vieillesse, la filiation précieuse, l’attachement au passé, à l’enfance, à ce qui précisément remonte à la surface quand tout le reste fuit.
Lui n’a plus rien à perdre, sinon ce lieu habité par celle qui l’appelle encore « chéri » et qui, ignorant tout de la catastrophe, retourne dans la zone interdite danser parmi les ruines. Il la ramènera doucement sur son dos. Un instant, ils auront l’air heureux.
Avec une puissance poétique qui en un seul plan dit tout de la perte, du deuil et de la malédiction d’un pays, Sono Sion signe un grand film dont on sort ébloui. Abasourdi par tant d’humanité et de capacité à la transcendance.
« The Land of Hope », de Sono Sion (Japon). Avec Isao Natsuyagi, Jum Murakami, Megumi Kagurazaka. Durée : 2 h 13. En salle mercredi.
Un article sur le sujet:
http://lepapillonetlempereur.blogspot.fr/2013/04/au-pays-ou-espoir-rime-avec-tabou.html